vendredi 13 février 2015

"Le Repli" Peinture en prison


...
















Quatrième de couverture:

Trois braqueurs Corses et un centimaître d'arts plastiques se rencontrent à la maison d'arrêt d'Épinal par chance et par hasard : ils se sont mis à peindre et à écrire encore et en chœur, si bien qu’il s'est écoulé six ans.
On peut jurer que nos premiers aveux de peintures et d’écritures sont.., sur la tête de nos pères, authentiques : Bacchus, Méduse… Jusqu’à celui de l’ange au pied nu qui nous a fait l’effet d’un électrochoc, puis tout fout le camp, c’est du flan, nous avons trop peint de plis et des murailles de prison trop hautes pour nous.
La Dame à l’hermine existe vraiment, le repli sur son épaule est riquiqui, en revanche, il existe une Nat et une Nédia, qui donne une Nad@  plus forte que les deux séparées.
Marlo dessine des compagnes au charbon. Ange a progressé en peinture de manière asymptotique. Djief s’est effectivement tu.
Quelques autres ont peint et écrit avec nous, mais pas de manière aussi engagée.
Aujourd’hui. Marlo (transféré à Marseille) rejoindra la Corse l'an prochain, Djief (transféré dans la région parisienne) sortira l’année suivante, Ange est toujours à Epinal. Sa sortie est pour bien plus tard. Et Gil&  n’enseignera plus la peinture à la maison d'arrêt quand elle sera vide, il a eu son conpte.












   Le Repli.




« L’intelligence prend plaisir à l’eau, mais la bienséance à la montagne ; car l’intelligence est mobile, mais la bienséance est calme.
L’intelligence fait vivre content ; la bienséance fait vivre longtemps » Confucius.

Je suis dans un avion.
Je ne suis pas sûr de survoler ; ce que je vois ressemble  trop à des sièges de bus la nuit.
Plus tard, dans l’obscurité, j’écrirai une histoire.
J’y parlerais d’un Prométhée*  que je consulte toutes les semaines à la prison.
Tous les vendredis après-midi jusqu’à 17 heures 15, heure à laquelle les bruyants chariots réfrigérés serpentent dans le hall avant de se hisser dans les étages pour la distribution : alors, il me faut partir, et lui, monter.

*Prométhée brava Zeus.., d’abord en créant le premier homme qu’il peignit avec de l’argile et de l’eau.

C’est la nuit. Mon histoire se griffonne, pas tout à fait vraie…
Je ne suis franchement pas prêt…

Prologue : un capitaine de bateau avait une telle sagesse qu’il dormait dans une chaloupe de sauvetage.
Le capitaine de la prison n’est pas le directeur de la geôle, il y est seulement prisonnier, c’est une sorte de passager clandestin que tout le monde peut remarquer mais que personne ne connaît : il est le seul à rencontrer tout le personnel, les autres prisonniers ne font que l’entrevoir, ils ne le connaissent pas.
Cependant, quelques professeurs l’ont rencontré, parce qu’ils œuvrent dans les salles exiguës de l’école de cette Maison d’Arrêt ; il s’y rend. Ils y discourent. Ils y sèment.., quand c’est possible.
Les vendredis du professeur d’arts plastiques  ne se ressemblent pas.
Il accueille tous les détenus de plus ou moins longue durée qui passent la porte de son échoppe. Il  leur propose des pigments en tous genres. Ils peignent  tous les vendredis sauf pendant les vacances d’été.
 L’été la prison vit sans école. Le capitaine  profite à l’ombre du soleil hors champ, lui il jouit au soleil de l’ombre de sa forêt. 
C’est l’été et il vole ; il y a des turbulences, il va en Chine.
Il est maître en peinture pour quelques détenus ; la Maison d’Arrêt en enferme deux cents.
 L’ermite dont il sera souvent question est présent à toutes les séances de travail. Mais, ce n’est plus lui qui vient le voir ; c’est le maître en personne qui se déplace pour le consulter en prétextant enseigner la peinture à tous. 
Aujourd’hui c’est Chassériau qui le hante. (Plutôt que Delacroix ou d’autres grands peintres du XIXème siècle, chacun à son tour !)
 L'anachorète de la prison est habité par le même esprit  des maîtres du pinceau ; la maison est mitoyenne, ils se logent à deux dans la peau de l’artiste ; il y a même de la place pour d’autres, ils s’y sont déjà retrouvés à cinq.
A cinq, y compris Géricault,  c’était leur âge d’or, s’ensuit l’âge de la déconfiture, qui correspond pile poil au naufrage du groupe …
 Tout est compliqué quand on commence une histoire : j’aimerais que le décor s’installe vite, j’aimerais donner un ready-made*  à celui qui n’est jamais entré dans une prison, afin qu’il puisse suivre ma pensée : il serait nécessaire de lui présenter le lavabo de l’univers carcéral. . . Peut-être que ce que l’on connaît de la cellule par la télévision, suffit pour débuter ? Cependant, Victor Hugo n’hésite pas à balancer cinquante pages sur la bataille de Waterloo pour que l’on s’imprègne de la situation géopolitique de l’époque.

* L’urinoir de Marcel Duchamp est un ready-made.

D’abord, se contenter du milieu carcéral présenté par la télé, ajouter ensuite, ce que chacun sait de l’univers érémitique par l’Evangile, et presser un zest de la vie des hôpitaux vus du côté du grabataire : entrechoquer les trois univers suffisamment mis à l’esprit. Et vivez les aventures du duo ; l’un en cellule, et l’autre en goguette.
Dit autrement ; l’un vient de l’extérieur en consultation comme s’il allait chez le dentiste, c’est le prof. L’autre, le gardé à vue descend de sa cellule à la demande du patient.

Le Capitaine s’appelle Ange Confusiani. Il a pensé immédiatement au film de Bunùel, « L’Ange Exterminateur » ; il ne sait pas pourquoi, on n’explique pas toujours les relations que l’on fait.

 Ange est avisé, il a eu une drôle d’idée de se faire enfermer quinze ans dans une prison de province ; là où je vais le  voir tous les vendredis après-midi, sauf pendant les vacances d’été.
Aujourd’hui il  a déjà vécu six ans dans sa cellule où il réverbère ; il y a des jours où il  regrette d’avoir eu une telle idée (braquage), la réverbération ça va un moment… Mais il sait aussi que s’il n’avait pas à purger une peine si longue cela ne serait pas le même affrontement avec lui-même ; trop facile de quitter le bateau quand la mer se déchaîne. Il est préférable de s’enfermer à clé : ne pas abandonner, être obligé de continuer quoi qu’il arrive. . .
Puis il a jeté la clé dans le puits.
Un jour Ange m’a avoué qu’il aimerait commuer sa peine en une autre condamnation ; un juge d’application des peines y a recours aux Etats-Unis. Il fait lanterner six mois un voleur devant le magasin de son délit,  avec le panneau, « je suis un crazy voleur de micro-informatique » autour du cou. Ange aimerait convertir sa pénitence en un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle. Paris-St Jacques sur les genoux, ou même, mieux, couché, en tournant sur lui-même. Il  se torsaderait immédiatement mais ce n’est pas possible, il a passé un pacte avec le magistrat.
Que chacun imagine une autre peine un peu débile ; il veut bien la faire.
( Ecrire ici le gage un peu con, on lui transmettra :   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .)

Si Ange lui-même ne me l’avait pas certifié dans le noir de mes pupilles profondes, jamais je n’aurais imaginé que quelqu’un puisse jeter lui-même la clé de l’enceinte de sa raison, librement. J’aurais trouvé cette idée aberrante… Quelques mois ; passe encore. Quinze ans ; faut remonter aux stylites chrétiens des premiers siècles de notre ère pour trouver de tels cas de figures ; des années sur le chapiteau d’une colonne corinthienne à cinq mètres d’altitude. Il y en a un qui l’a fait.

« Ca ne vaut pas un clou ! C’est trop vrai.., se moque Ange, en me rendant tapageusement ma biographie* manuscrite ″d’adolescent/marin/malmené″ qu’il venait de sillonner.., ça manque d’imprévu ! Chiant ! Si un jour, (moussaillon !) tu écris autre chose, tu dois exagérer sinon ne m’fais pas lire ; j’serais pas poli deux fois. »

Des sentences comme celles-ci, il m’en assène souvent. Depuis cette dernière, je n’écris plus que des conneries que j’invente, que je gonfle à l’hélium, que je fantasme d’adjectifs, de métaphores, de synecdoques et d’autres trucs de ce genre ; c’est ce que j’essaye de produire sur ce clavier magique.

* « Le Bleu. » Biographie à lire en annexe ; le professeur a eu une adolescence houleuse. Mais, seulement en annexe, en annexe, qu’en annexe !

Ange est très  critique, il ne me donne que des conseils péremptoires, que je trouve cinglants, giflants, décapants parfois injustes, mais dont je tiens compte. Le jour où il sera transféré à Pétaouchnoque où à Trifouilli les Oies, je continuerai à lui demander son avis par courrier, par boule de cristal ou par cartes tirées. Lorsque je n’aurai plus aucun moyen de le joindre, je prendrai la décision contraire à celle que je choisirais seul, en toute clairvoyance. . . Mais ma décision n’est pas souvent l’oscillation entre le tout ou le rien, entre le noir et le blanc. J’ai besoin de lui pour choisir ma nuance de gris coloré. J’espère qu’il ne sera pas transféré pendant ce séjour à Hong kong.
C’est lui qui m’a expédié en Extrême Orient.
J’aurai à lui montrer mes carnets de croquis, mes dessins. Je dois aussi lui rapporter un beau pinceau chinois monté avec des moustaches de rats, si pas hors de prix ! Sinon j’attendrai d’avoir cinquante barbes perdues par mon chat à mon bureau : j’en suis à six scotchées sur une feuille de vélin d’Arches filigranée. Ange m’a offert la plume du peintre qu’il a reçue dans une enveloppe de Corse : une aigrette de rien du tout que la bécasse possède à l’articulation de l’aile. Une minuscule belle plume qui se trouve là où l’aile pliée peut faire un angle aigu. Sur une seule aile. J’ai de la peine à le croire. (Il est souvent très sûr de ce qu’il annonce !)


Je ne vais pas à Hong Kong seulement pour un pinceau. Ne négligez cependant pas l’importance du pinceau chinois. Nous nous référons si fréquemment au pinceau tenu par Vélasquez lui-même dans « Les Ménines » : il le tient loin de la brosse, au deux tiers supérieur du manche qui mesure environ quarante centimètres, ainsi sa touche peut être souple, calligraphique et vive. Velázquez effleure sa toile, il ne l’écrase pas. Nous savons que le calligraphe chinois plane sur le papier, contrôle le dépôt, la vitesse, la pression. . . La pression ? Je n’ai pas envie de laisser croire qu’il y a pression : il n’y a pas de contact à proprement parler avec le papier. Les poils transmettent aux doigts, au poignet des vibrations qui disparaissent au niveau du bras et de l’épaule.
Le pinceau en Extrême-Orient, la plume en Occident.
Vélasquez, nous en sommes persuadés n’a jamais touché franchement ses toiles. Aussi vraie  que le pinceau du calligraphe chinois n’est pas une lente limace noire qui bave sur un mur ! (Exception ; il lui arrivait de gratter la peinture fraîche avec le manche  comme Rembrandt.)
Nous avons cela chez Manet : une belle repro d’asperges sur un magazine récent, donc d’une bonne qualité d’impression… Seulement de la peinture onctueuse et vivante qui glisse avec élégance. . .
Un contact peinture/support de grande adresse, comme un grand cuisinier qui huilerait, salerait, pimenterait une salade, qui finalement donnerait l’impression d’avoir été peinte sur l’assiette immaculée ! Manet ne trompe pas les aspergïomanes, il huile de lin et pigmente la pâte crémeuse et fraîche qui imite une botte d’asperges.
Par dessus le marché, Manet, par jeu, envoie une seule asperge peinte à celui qui s’était plaint de n’en compter que onze. C’est Ange qui m’a raconté cette histoire ; j’ai vérifié l’information le nez sur la cimaise d’Orsay ; très fraîche, juste lavée, un peu violacée à la base, les bourgeons intermédiaires rendus humides par l’ondulation donnée au pinceau. En salivant, j’ai confirmé sa source, par cette description détaillée.
Défié, la semaine suivante Ange peint  la transparence sucrée de la grappe de raisin que le jeune Bacchus tient entre les mains : Le Caravage.., le tableau se trouve à Moscou*. J’irai vérifier sa lumière sucrée. La grappe peinte qui n’est pas à Moscou mesure un mètre de haut, depuis six mois nous voulons tout agrandir, c’est moi qui suis en train de peindre à l’éponge la vaste sensualité de l’épaule dénudée du Bacchus.

*( ?)… Erreur ; l’original est à Rome à la Galliera Borghèse.

Depuis, nous nous sommes mis à tout voir grand, la vigne, le raisin, les asperges, la mer (et ses poissons,) sauf l’ordinateur portable que j’ai du choisir à Hong Kong. . . Le plus petit possible. . , pas forcément le plus performant.

 L’avion a bien fini par atterrir, et j’ai déjà traîné mes guêtres dans un supermarché de l’informatique installé dans un labyrinthe  de cages; côte à côte sur quatre étages  de la tour noire de trois cents mètres de haut. Ce bazar semble ne vendre que des ordinateurs portables pour cette île aux appartements si exigus. . . Peut être aussi que la mobilité du Hongkongais l’engage inéluctablement à ne penser qu’avec un objet en titanium de deux kilos ; pas plus gros qu’un bloc spiralé de carnet à croquis, 180 grs cartonné.
« Attention ! m’a précisé Ange, le clavier ne doit pas être trop petit. » Les dix doigts doivent y trouver leur place, sinon, l’on est réduit à taper avec trop de précaution et de lenteur.
Notre portable. . .
Le mien et le sien. Un pour deux. Mais tout de même, plutôt pour lui que pour moi.
L’écran au plasma sera notre « arène », notre cours de création.
Plier/Taper/Coller.
Word sera notre ardoise, notre carnet d’écriture, un court de tennis, la même écriture qui ne se différenciera plus, renvoyée l’un par l’autre, l’autre vers l’un…
Du Times New Roman corps 12. Chacun notre tour, moi chez moi sur un ordinateur fixe et Ange uniquement sur portable. Une disquette que nous échangerons à la sauvette lors de l’atelier de peinture du vendredi après-midi. Le portable intégré dans un coffret de peinture acrylique pour rester discret et ne pas susciter la convoitise de ses codétenus.
(Il est seul dans sa cellule.)
J’anticipe trop, l’affaire n’est pas faite.

Au porte-voix : « Le professeure ét ta  Hong Kong. Ille veut trouver un pinceau qui effleureu.., et un oordinateure  qui se portee.., pour Angee qui ét ten taulee ! »

J’ai dialogué avec les ordinateurs ; lequel sera l’élu ? J’attends qu’il se manifeste une nuit prochaine. A mon retour nous pourrons débuter notre « cadavre exquis » à quatre mains . . . peut-être à beaucoup plus ?
Le « cadavre exquis » est un jeu : la règle est surprenante. Il s’agit d’écrire quelques mots sur un papier puis de le plier, donc de le cacher et de le transmettre à la personne suivante qui va y ajouter quelques mots. Le papier lorsqu’il est déplié surprend le petit groupe qui en a accepté les règles. . .
-« Pas assez fantasque, trop prof…à reprendre. »

Le « cadavre exquis » est une cabriole surréaliste : la règle est simple et foldingue. T’écris quelques mots sur un papier puis tu l’plies, donc tu l’caches, tu l’transmets au suivant qui y ajoute la gueule enfarinée des mots, un verbe ou d’autres trucs.., ensuite..,
(à lire lentement du bout de la bouche), ensuite la petite congrégation déplie les ailes en papier de l’élégante chrysalide  recroquevillée ; oooh ! Les lecteurs impatients déchiffrent et découvrent, du bout des yeux, l’étrange,  la gracieuse métamorphose. Miracle ! pour ceux qui ont griffonné . . .

- « C’est mieux.., mais faut être cohérent !, dans cette histoire biscornue, des références artistiques bien plus compliquées vont être faites sans être développées, c’était pas la peine d’expliquer le principe d’ce jeu . Faut pas prendre le lecteur pour un con ! »
- « Ouais, mais tout le monde n’sait pas c’que c’est un « cadavres exquis », c’que sont les « frottages » de Max Ernst, les « fumages » de Wolgang Paaalen, les « décalcomanies » d’Oscar Dominguez, etc. Chacun sa limite ! »
- « Ce sont des techniques surréalistes ? »
- « Oui, mais lesquelles exactement ? »
- «  Bon d’accord, continue, explique ! »
- « Le cadavre exquis boira le vin nouveau », est le plus célèbre des poèmes écrits de cette manière aux premières heures du mouvement. C’est ce poème qui a donné son nom à ce jeu poétique et littéraire. Ce système d’écriture heurté, inattendu donc créatif a troublé et amusé les poètes,  qu’on appellera « Surréalistes, » qui décidèrent en toute lucidité de froisser l’académisme (en 1920 !) duquel ils étaient issus. Ruer dans les conventions apprises, en irritant les facultés de l’esprit par le hasard.
Les peintres ont eux aussi joué avec l’imprévisible, en pliant  (des papillons en papier pour en faire des chrysalides,) et, en repliant régulièrement ce qu’ils dessinaient sur les élytres, en ne laissant apparaître au suivant, sous le pliage, que quelques traits à prolonger librement.
Les « esquives chrysalides » présentées dernièrement au centre Pompidou laissent supposer que les quelques larrons qui signaient leur forfait s’étaient tout de même imposés quelques règles de conduite : le premier dessinait une tête, le deuxième un torse et ainsi de suite en descendant jusqu’aux pieds. Au final : des personnages révélés dans les plis des ailes. . , des anges.
A la prison, nous pratiquons des variantes de ces deux types de cadavres exquis ; en peinture et en écriture. Nous ne nous cachons pas beaucoup les uns des autres, mais nous construisons avec le même esprit hasardeux, donc créatif, pour cela, nous nous revendiquons des Surréalistes.

- « Quatre vingts ans plus tard, vous êtes les petits-enfants des Surréalistes : Prévert et Queneau seraient vos grands-parents, Perec votre père. »
Ange apprend par cœur des poèmes de Prévert. Il en lit à ses amis (peu). Son poème préféré est «  Le nain nu »*.

* Le lire en annexe.

En écriture nous nous sommes tenus aux règles sévères suivantes.
1-             Chacun peut se permettre de reprendre les lignes  du précédent ; à qui il pourra arriver la même chose. L’écriture pourra avancer lentement.
2-             Nous pouvons déplacer, raccourcir, (enrichir,) allonger, (enrichir,) les phrases des précédents qui ont déjà pu être remaniées.
3-             Contrairement aux poètes Surréalistes, nous recherchons la cohérence de nos propos, la fluidité des mots, une certaine vraisemblance dans la continuité.
4-             L’exagération est recommandée, l’invention est souhaitée ; la vérité ne fait pas rêver !
5-             Travailler  par collage de morceaux, mais n’en laisser aucun indemne, sans sparadrap, emplâtre, tuteur ou prothèse.
6-             Les fautes d’orthographe et les grossiers écarts de syntaxe seront corrigés par un spécialiste, nous n’en sommes pas.
7-             Tout autre détenu (ou professeur) qui peint avec nous peut participer à notre maelström  de mots déchaussés (plutôt que déjantés.)
La règle « sept » a été remaniée par huit mains, quarante doigts, donc quatre personnes ; on compte à peu près deux mains par personne, si l’on exclu ceux qui ne se servent que de l’index droit pour taper.
8-             Mais la liberté de chacun est  à respecter ; c’est le dernier lecteur qui tranche. Chacun de nous fermera un chapitre.

L’anonymat des Je  est préservé, ce qui nous entraîne, six mois plus tard, à ne plus savoir  qui  Je  suis. Le lecteur lambda  est perdu puisque plusieurs personnes ont tapé ou effleuré les touches de trois claviers qui ont échangé leur gestation par disquette interposée : une seule disquette a circulé comme une tranche de pain dans trois grille-pain.
Au fur est à mesure de la montée de l’échafaudage, les textes remaniés, déplacés, se sont fait ensevelir par les autres. Une archéologie que personne ne peut entreprendre, et, de toute manière inutile ; c’est notre jeu !

Comme pour un bœuf en jazz chacun a eu son solo (trémolo). . . Faux ! Quelques-uns uns n’en sont pas capables (d’écrire seuls) et se sont contentés d’entrelarder et de caviarder les phrases des autres. De vrais one man shows bien dégagés ont été aménagés pour certains d’entre nous, même si dans le fond, les six instruments jouent ensemble en relative harmonie, et quelquefois en légère (franche) dissonance. . . L’un agaçant l’autre et dérangeant le suivant, en accélérant, en s’éloignant, en déconnant. . , suivez, adaptez-vous !


A l’atelier de peinture, les règles de nos « cadavres exquis » se sont lentement améliorées, comme à l’époque anglaise des balbutiements du ballon rond quand il n’était qu’une loque de cuir humide sur un gazon boueux.
 Aujourd’hui, deux années plus tard, les règles sont tacites mais construites et elles s’affinent encore.

Par alternance et inlassablement l’un de nous tend une feuille humide sur le mur ( 2m X 1,5m environ) comme on étalerait une peau de bison pour la gratter puis la tanner, sans ménagement, avec professionnalisme. On attend, qu’elle sèche, qu’elle se soit habituée au mur et à nos regards, à la dérobée, pour ne pas la déranger franchement dans sa nudité. On tourne comme des singes en cage auxquels des visiteurs auraient déposé des palettes, des couleurs et des pinceaux ; «Vont-ils pouvoir arranger la peinture dans un certain ordre* ? »

* Variante  de la célèbre phrase du peintre Maurice Denis.

La feuille est puissante quand elle se tend, quand elle se rétracte; nous redoutons son énergie. Sèche.., nos regards se durcissent. A ce moment, y en a un qu’estime qu’il  va pouvoir l’entreprendre, il s’prépare une palette. Six à huit noisettes d’acrylique et quelques brosses plus loin, et encore en avant, le détail, de la belle reproduction, d’un tableau de maître, exhumé d’un beau livre d’art, que l’on a élaguée, (en iconoclaste !)… Ce modèle, papier glacé, naviguera ( caravansérail !) sur la grande feuille kalaharienne.
Comme des peintres en bâtiment qui hésitent à s’en rouler une avant de se mettre au boulot, on s’installe dans notre nacelle. . , au sol ! Bien équipés, nous nous  cantonnons confinés dans nos zones de travail ; riche nuancier, l’œil aguerri qui a perdu des batailles. Le pinceau mesuré sait saliver et s’écraser comme une loche.., assuré de ne pas faire que des erreurs et des faussetés. Arpètes hésitants rassurés par les mains des aspirant capable de récupérer les bavures.
- « Qui a fait ça? »
On ne peut plus tout à fait retrouver ; ça apaise !
Chacun espère la main du sauveur ; le voisin de « pallier » recouvre avec détermination les coups de pinceaux, crottes bigarrées de pigeons à oublier, à ne pas récupérer sous le sabot d’un cheval X.
Il arrive que personne n’étale le guano et ça reste comme  un tapis de verrues et de varices. Nous sommes de petits losers de camaïeux vérolés, et on s'envoie des piques et des fientes. D’un geste, le papier se fait arracher comme la  fausse tenture qui cachait temporairement les raisins trompeurs de Zeuxis trois siècles avant J.C :
- « Y a pas de faux raisins qui trompent les zoiseaux d’ssous ! »
La nature morte ou le personnage loupé, ne verront jamais leur reflet dans un cédérom*, le support servira de base épaisse en pâte pour une autre tentative. Arrachée sous la risée de l’équipe de peintres déculottés.

*Nous n’avons pas la possibilité d’avoir un miroir pour regarder notre peinture comme le suggère Vinci, pour la surprendre et pouvoir la corriger.





Nous ratons souvent, personne ne veut porter le chapeau. La déconvenue est alors individuelle, alors que la réussite est toujours collective.
On peut fermer un secteur de peinture avec ou sans l’accord (discuté !) des autres. . , et le rouvrir lorsque la majorité dénigre.
-« On en médira plus qu’on ne l’imitera ! » répète souvent Ange.
Cependant, les politesses l’emportent sur les reproches. Et c’est souvent un grand honneur, (qui ne m’est pas arrivé fréquemment)  que d’être convié, que dis-je !.., prié par mon voisin, par un maître !.., de reprendre, de poursuivre, d’affiner un travail ébauché en péril.
De glacis en glacis, de jus en empâtements (blancs) pour emprisonner la lumière, (on le tient de Rembrandt,) les mains se relayent, les corps se déplacent et s’alternent, les bras peuvent s’entremêler. Presque toujours en accord, en quadrille, nous nous reculons pour surveiller la progression.

Ce jour là Chassériau est présent dans la petite salle. Il est avec nous. Il ne dit rien qui vaille. Nous sommes dans notre prison ; C’est la première fois qu’il y rentre, ses contemporains sont  tous venus au moins une fois.
Il se tient coi.., contrairement aux visiteurs qui viennent exceptionnellement nous apercevoir.
(Nous détestons les entrevues des visiteurs occasionnels ! Ils posent des questions saugrenues aux  humbles peintres que nous sommes. . , qu’ils prennent pour des détenus ordinaires !
  -« Ce n’est pas trop dur d’être en prison ? . . Vous êtes ici pour combien de temps ? »
Quand Ange répond :
-« Quinze ans ! »
Que voulez-vous qu’ils saisissent ! Ange connaît bien l’état de conscience de ceux qui entrent pour la première fois dans une prison, il réussit facilement à les mettre à l’aise. . , en leur offrant un café…Non, je rigole !.. En les faisant parler de leur métier, de leurs enfants ; leur égoïsme les fait vite oublier leur malaise. Avec d’autres peintres/prisonniers, les conversations ne se déroulent pas de manière si subtile, mais leurs réactions aux questions déplacées sont plutôt gentilles ; par nature un détenu aime ce qui vient de l’extérieur, surtout si c’est une jeune femme/fleur maladroite, il essayera de frôler quelques étamines.)
Maître Chassériau (1819 /1856) ne nous parle pas par énigmes : il tapote l’épaule en faisant un  « Tss ! tss ! tss ! » réprobateur. Penaud, mais conscient, le réprimandé passe la main à son voisin qui à son tour se fait complaisamment engueuler. Fragilisé, celui-ci abandonne le raccourci raté d’un bras devenu moignon; il aura la semaine pour y penser, s’essayer et enrager.
Monsieur Chassériau est bien gentil avec nous. Il nous regarde comme des débutants. Plus d’un siècle après sa mort, et puisqu’il n’a plus d’élèves, il n’hésite pas à nous consacrer son temps. C’est sympa d’sa part, nous nous attendions à plus de mépris. De son vivant.., il ne nous aurait même pas regardé peindre tant nous sommes empotés avec nos palettes trop grandes ; nous n’avons jamais su les tenir, et nos bouquets de pinceaux ébouriffés qui bringuebalent!
Il nous aurait envoyé dessiner quatre heures par jour au piquet jusqu’à ce que, deux ans plus tard il daigne entrouvrir un œil neuf sur notre peinture :
- « Comment voulez-vous peindre un cheval, vous ne connaissez ni les muscles ni les tendons d’insertion ? Si le cheval lève la patte, le sabot ne peut pas être dans cette position, sacrebleu ! »
Têtes basses, on est tout de même heureux d’être  considéré par le vénérable maître, qui n’a plus d’élèves. . .
Des gens qui aiment sa peinture, des admirateurs, il en a beaucoup, des élèves, non.
Les élèves des écoles d’art d’aujourd’hui n’ont aucune idée de ce que furent les écoles d’art du XIX ème siècle, et c’est bien légitime ; pourquoi figer quelques chevaux écumants montés de leurs fiers cavaliers arabes devant l’objectif du peintre ? Les fiers peintres en herbe d’aujourd’hui ont d’autres figures de proue. Entre autres ; Rothko, Hartung, Garouste, Alechinsky. . .
Quand notre maître somnole sous son marbre, on marmonne… « pspspsps, notre peinture de chevaux doit bien le faire sourire, comparée à la sienne. »
Nous sommes de pâles imitateurs. Des rats du Louvre qui plantent leur chevalet sans vergogne, au nez et à la barbe, à la vindicte admirative des visiteurs inaptes à peindre ; ceux qu’on méprise. « Où est la création ? Quel intérêt y-a-t-il à peiner derrière son pinceau, à repérer un reflet, un dégradé, à bien lécher sa pâte ? »
« Eh bien, nous, Monsieur Chassériau, Monsieur Delacroix, Monsieur Prud’hon, on ne lèche pas la toile, on ne traînasse pas sur la toile, on peint, Messieurs ! On comprend ce qu’on peint Messieurs ! On tente de comprendre ce que nous peignons ! »
Notre peinture n’est pas bonne ? …Oui !
…Oui mais à chaque séance nous essayons de la mieux appréhender. Nous peignons à grands coups, nous vous avons vu faire ! Oui mais, nous n’avons pas encore  votre expérience.., votre adresse, votre connaissance des moindres conséquences d’attaque et de glissement de la brosse. Oui on sait que nos effets de transparences n’en sont qu’à leurs enfantillages.

«  Si vous n’avez pas quinze glacis les uns sur les autres, votre peinture ne peut pas être bonne ! » arguait Le Titien.

Oui nous le savons, mais nous avons plutôt tendance à recouvrir le labeur des autres plus qu’à travailler les transparences, les glacis.
Trois mois plus tard, après moult couches notre grande feuille de papier nous contemple de haut : trois paires d’yeux humains perçants placés une coudée plus haut que les trois paires d’œils des chevaux nous toisent définitivement. Ça sent bon la  bonne peinture. Un  grand échantillon de musée est dans notre salle exiguë.
Nous ne nous lassons pas de regarder cette fenêtre ouverte.
Mieux qu’au musée embaumeur d’œuvres! Nous sommes dans le lumineux atelier du maître avant qu’il ne se sépare de son chef d’œuvre.
Nous mangeons quelquefois du chocolat noir en fermant un œil, en penchant la tête, en analysant le reflet  de la peinture dans un cédérom ; si ce qui est vu dans ce miroir de fortune est acceptable c’est que la scène est bonne, nous n’avons pas de meilleur test que celui-ci, il ne nous pardonne rien.
Longuement notre moue de dégoûtés prend conscience de l’étendue des défauts, et alterne avec la mine réjouie de l’auto satisfait, sidéré par ses propres qualités insoupçonnées.
C’est maintenant impossible de retrouver qui a fait quoi.
Nous jouons pourtant à ce jeu :
«  Ah l’œil du cheval, c’est de moi ! C’est ce qu’il y a de plus juste, on ne devrait garder que cela ! »
« Et puis le turban, il tourne tout seul. On croirait du Manet dans le meilleur de sa forme ! Bravo ! Il n’y a que l’essentiel. »
«  Vas-y ! Compte les coups de pinceaux ! Regarde ici, le fond est en réserve, juste ce qu’il faut de peinture ! »
« Là, dans le harnais ; c’est complètement abstrait, j’aime ! »
« Le fond, c’est franchement du Turner. »
« Tu crois qu’il a vu tout cela Chassériau ? » Pas d’étincelle, il n’est plus là…
…Nous nous enflammons seuls :
« Nous sommes arrivés à sa cheville ! »
« T’en est sûr ? »
« A la cheville d’un génie qui a dessiné d’après Michel-Ange. . . » Un de nous vérifiera l’affirmation pour la semaine suivante.
Rideau.

***

Hong Kong.
Cher Ange.
La première apparition hors du taxi est inoubliable: l’impression d’être dans une buanderie industrielle en grande activité. . . Plus précisément, sensation d’être à l’extérieur de cette grande buanderie, dans la rue.., juste dessous ou à côté d’une grande soufflerie (de tous côtés !)  qui refoulerait la vapeur de grands nuages (qui sécheraient ?) dans les gros tambours d’une gigantesque machinerie météorolologique.
…Il n’y a pas plus de linge humide qui tourne que de grandes pales d’extracteur d’air qui vrombissent.
Nous sommes juste dans la rue, à la nuit tombante, nous sortons d’un taxi rouge. C’est la première fois depuis deux heures que nous sommes arrivés à Hong Kong que nous respirons l’air extérieur. Jusqu’ici nous vivions artificiellement, climatisées ; l’intérieur de la voiture, la rame ultramoderne de la navette souterraine (qui nous a propulsés hors de l’aéroport), l’immense aéroport lui-même conditionné, et, encore, auparavant, le Boeing qui nous a conservé en état douze heures.
Les rues mugissent comme une ruche amplifiée ; la nuit, elles soufflent. Les moteurs ne cessent pas de climatiser l’intérieur des boutiques, des appartements, la rue est moite, poisseuse.
En Europe nous nous protégons du froid, les Hongkongais se protégent du chaud, de la torpeur.
Dans les rues, personne ne semble gêné, les Hongkongais paraissent même vivre cela tout à fait naturellement ; très peu s’éventent, peu s’essuient.
Une photographie de la place sur laquelle je suis, ne rendrait pas du tout compte de la température ; certaines personnes sont en activité, d’autres non.
Certains téléphonent, d’autres mangent, plusieurs fument, trois tondent la pelouse du petit carré qui a échappé, (on se demande comment ?) à la levée d’un immeuble de 20, 30 étages, jusqu’à atteindre fréquemment 80. . . La quiétude d’un square de cité avec la rumeur assourdissante partout.
Le silence n’existe nulle part à Hong-Kong. Si?

Les odeurs sont plus prégnantes que les courants d’air chaud, 30 à 35 degrés ; pourtant le ciel est sous des édredons de nuages menaçants qui pour l’instant ne savent que défiler en désordre. Que sera la ville quand ils crèveront leur abcès ? Quelle sera la température quand les nuages protecteurs (du soleil) disparaîtront ?
Les odeurs mêlées, brassées, balayées, disparaissent momentanément après chaque respiration, le temps de happer la quantité d’air suivante indispensable, mémorable. . . Pas forcément désagréables mais puissantes ; du poisson à l’herbe déchiquetée, des gaz d’échappement à la friture, cuisine raffinée. . , et sans doute un vent marin qui les lie toutes. Par refrain et par couplets, par rimes, en alexandrins disloqués, elles reviennent plus ou moins fortes suivant l’apnée précédente et la vivacité des volutes d’air qui tourbillonnent dans les bas-fonds, entre les tours serrées et alignées.
Le marché de Wanchai s’installe tous les jours dans le labyrinthe des rues comme une collerette, à la base de chaque immeuble. Sous la collerette il n’y a que des interstices, tout est dense ; les odeurs, les objets, les fruits, les légumes, la viande, le poisson, la foule.
Le quartier de Wanchai où nous habitons est relativement calme par rapport à d’autres situés en face, sur le continent chinois à Kowloon ; plus de monde, plus de circulation, plus de commerce, cette densité nous a indisposés, nous a coupé l’appétit que nous avions pourtant bien aiguisé par les dix minutes d’air marin de la baie de Hong Kong que nous venions de traverser par bateau.
C’est aussi sans doute la chaleur des cuisines des restaurants, ajoutée à la torpeur ambiante, qui nous a donné le coup de grâce.
Il y a une échelle de Richter des sensations à H.K, l’œil a ses seuils de recevabilité, il a besoin de franchir des paliers de décompression pour comprendre et reconnaître :
Par exemple ; la grande largeur des rues de Kowloon n’est pas compréhensible avec les critères habituels de reconnaissances parce que toutes les enseignes lumineuses des commerçants sont en surplomb sur la chaussée. Toutes en concurrence. Plus qu’en surplomb ! Elles pêchent au lancer franchement sur la deuxième moitié de l’avenue ; celles d’en face font miroir et s’interpénètrent, si bien que la rue entière est couverte de panneaux publicitaires à différentes hauteurs, tenus par des réseaux complexes de câbles d’acier ancrés dans les façades des immeubles décervelés. Le résultat est surprenant puisque la large rue disparaît complètement et ne laisse voir que des idéogrammes chinois lumineux gigantesques et des noms dadaïstes de produits anglais.
La rue donne plus à lire qu’à voir.
L’urbanisme de la rue disparaît totalement sous le feuilleté des titres de ce grand journal.
Le flot incessant de la circulation se fait laminer plus ou moins rapidement sous les ponts des « mots/néons » et des signes chinois rouges.
    
*

En prison.
Cher Gilet.
J’ai respiré ta lettre comme on respire un échantillon de parfum dans un magazine. Plus j’avançais, plus mes papilles olfactives me guidaient à travers cette ville qui signifie en chinois ; « le port des fortes odeurs. » Un nez retrouverait son chemin, mais quel dommage d’en priver l’œil.
As-tu trouvé des pinceaux de qualité ?
As-tu déjà acquis le joujou, (merveille de l’électronique) ?
L’atelier vit le week-end ; Giovanni y est fidèle et Djief parle un peu cet été. Giovanni a une production intensive, il compte sur moi. Sa progression est impressionnante, la sympathie donne de nouvelles strates à ses peintures ; il peut les signer avec fierté.
Tu dois te souvenir de cette phrase : « Dieu est mort signé Nietzsche, Nietzsche est mort signé Dieu. »
Nietzsche dit que si on enlevait Dieu de l’esprit de l’être, ça serait le trou noir. . . J’ai pensé à ce philosophe lorsque ma compagne m’a annoncé son désir de vivre sa vie. J’ai beau être préparé à cette idée, cette coupure est amplifiée ici où l’on parle souvent des proches.
Quelle impression d’anéantissement, ami confident et professeur. Mais je dois garder toutes mes forces, les mobiliser toutes pour poursuivre.
 J’ai eu une pensée  pour la mort de ta belle-mère, pour toi, ta famille dont tu me fais le privilège de me parler.

Mea culpa d’écrivaillon : (se frapper trois fois la poitrine de la main en lisant ce qui suit.) Ce que vient d’avouer Ange sur la rupture avec sa compagne est trop facile à inventer.
Froissez la fausse lettre ci-dessus.
Il est en prison depuis six ans, toute sa famille est avec lui, (ses parents sont assez âgés,) elle lui rend visite assez fréquemment ; un parloir est un événement qui ponctue les semaines. Important. Sa compagne écrit et se déplace régulièrement depuis des années, c’est une femme admirable que personne n’a vue, sauf lui bien sûr, mais depuis six ans par tranches verticales à cause des barreaux.
 Facile à écrire dans une fiction : (se frapper encore !) « Elle le quitte, c’est trop long d’attendre la fin de la peine. » Ils n’ont pas d’enfant, pas d’intérêt commun, genre maison d’héritage de famille dont il ne faut pas se séparer ; juré devant le lit de mort, frères et sœurs unis par-dessus la vie. Pas de gros événements insurmontables.., surmontés, genre accident de voiture duquel seule la chance est responsable de la valeur indemne des corps, après tout de même, des os attelés, et ressoudés au fil d’une longue hospitalisation pendant laquelle on se fait des serments.
Rien de tout cela. (pour finir, se frapper plus énergiquement !) il leur est juste arrivé des choses de la vie, et ça n’a pas suffit, rien ne peut suffire, rien. Seules les mères peuvent tenir la distance d’une longue incarcération. Les Mères se déplacent sans compter les années, il n’y a qu’elles, même pas les pères. Les frères et sœurs ? Faut pas compter sur eux plus de deux ans si affinités, trois si passions.
Alors : « Je m’en vais, c’est trop long. . , je ne savais pas que c’était si long d’attendre quelqu’un. » C’est logique implacable, prévisible ; elle est allée loin !
Chapeau bas !

***

Ange ne peut pas non plus compter sur Djief.
C’est un bon peintre qui peint quand Ange le lui demande : « peins la montagne dans le fond ! » Il la peint et il s’arrête jusqu’à ce qu’il ait un autre ordre. Djief ne parle presque plus depuis un an, il est dans une profonde mélancolie. Il parlait beaucoup, c’était un garçon jovial avant d’être jugé et de connaître la durée de sa peine
Ange ne peut compter qu’avec les conversations de Giovanni. . , qui ne restera pas là-dedans indéfiniment. Il y aura un autre Giovanni, d’autres Giovanni, qui tailleront des bavettes avec lui en peinture et en poésie. (C’est à Giovanni qu’Ange lit Prévert. Il lui traduit quelques phrases en italien pour l’aider à tout comprendre.)

« Adieu mon concubin » Il n’est pas arrivé ce coup dur à Ange ; ouf ! il n’aura pas à s’en relever. Il encaisse trop depuis le début de son incarcération. C’est un type surprenant aux ressources incroyables, lui même n’en mesure pas l'abondance… Et s’il n’était pas cet homme physiquement corsé et psychiquement armé, je n’irais pas, régulièrement peindre avec lui en prison une demi- journée par semaine.
Ne vous plaignez pas de vos misères financières, conjugales, professionnelles devant lui ni même ailleurs ; il bouscule les douillets, les geignants et les hypocondriaques, vous n’avez pas droit aux maux qui vous guettent, plaignez vous seulement de ceux qui vous rongent.


Ange n’est pas un chaman. Je ne parle avec lui que de peinture et de littérature, et quelquefois de théâtre.
 C’est sur la scène que nous aimons être ensemble. Entre acteurs qui improvisent au fur et à mesure leur texte, leurs gestes. Pourquoi réserver sa place au balcon, par coupon découpé ? Etre placé derrière une dame au chapeau à aigrette ? Alors que nous sommes toutes les semaines sur scène, en huis clos.., entre acteurs malgré nous.., dont je fais partie, malgré moi.., avec plaisir ?
 Tout entier immergé dans les trois actes.
 Cette après midi nous étions sept personnages en quête d’un auteur dont nous n'aurions rien à fiche !
Des acteurs triés sur le volet, des pros du spectacle :
-Un vrai professeur de peinture un peu amnésique sauf aux coups de pinceaux.
-Un sourd et muet qui peint méticuleusement le cardinal de Richelieu.
 -Un triumvirat corse. Ange, Marlo, Djief.
 -Karim, un grand jeune gaillard qui, ex-nihilo, extrait d’une feuille noire un visage brun, qui rayonne quand Ange, qui se déplace souvent dans la salle, reconnaît immédiatement dans l’obscurité du papier, l’homme de poings, Mike Tyson.
-Il y a plus effacé ce jour, mais très absorbé, Paul, qui se laisse tout pousser, qui consulte la collection de livres d’arts qu’Ange lui prête temporairement ; pas un mot, pas un commentaire, il regarde et lit. Aujourd’hui dans ce feuilleton Paul aura une importance d’arrière plan, on ne peut pas prévoir l’épisode suivant.
-A l’angle de la scène, s’installe un souffleur qui ne souffle rien, trop occupé à faire avancer son grand livre universel du saint Hubert illustré ; il y parle et y peint du lapin du garenne, du sanglier, au pinceau numéro deux, une encyclopédie pour la survie.
-Quelques figurants, absents aujourd’hui ; libérés ? transférés ? apeurés par l’atmosphère de grande famille d’acteurs qui règne dans cet atelier de peinture des siècles brassés ?
…Au premier plan, Ange présente le résumé de la dernière séance, il aimante au tableau les cinq Christ peints: le professeur est obligé de rassurer le jeune premier, le grand gaillard beur, en lui précisant que tous les sujets sont possibles, Mahomet, le Christ, Zeus, Mike Tyson. . .
Le professeur entre en scène : « Je veux peindre férocement, ce matin on m’a énervé ! »
Déterminé, il scotche au mur un grand morceau d’affiche Leclerc.
Ange: « scotche-là du côté de la tranche de saumon ! » De la belle mécanique artistique détraquée, comme aimerait Dubuffet!
(C’est un bout d’affiche de 3X4m  de récupération d’un Noël 2000.)
« Ça sera le ciel rougeoyant d’un Turner ! »
 On retourne la feuille afin que le morceau de saumon d’un mètre de haut soit vers le haut. Un brin de thym décore la tranche que l’on va transformer en nuages apocalyptiques.
Presque deux heures de travail, de frénésie, à grands coups de brosse, de manches de pinceaux, de coups d’ongles, et les voiliers ancrés au large  éclatent comme deux tomates  trop mûres sur le mur contre lequel elles ont été lancées ;  rouges, jaunes, orangés, pourpres.
Deux mètres carrés de peinture : un lynchage.
Turner pouffait : ça ne pouvait pas être autrement.
Djief, finalement le plus silencieux de tous, plongé dans sa profonde neurasthénie, à l’arrière plan, caresse longuement du bout du pinceau  sa « nature morte » : ( en anglais  « Still life, »: qui se traduirait par « vie silencieuse»). En bon chaperon, Ange taquine régulièrement au fleuret les linéaments de son ami Djief ; pour redonner de l’intérêt à sa fragile peinture qui peut se diluer facilement dans la tristesse.
Ange mène de front deux affaires ; il donne des conseils, et il essaie d’extraire de sa feuille rebelle un taureau à peine visible tant il déplace de la poussière dans sa course. Un élève de passage, et le professeur sur le qui-vive dénoncent sa prétention à extraire.., vole tout de même à son secours et s’enlise lui aussi dans le mufle et les cornes. Un autre peintre/acteur ne fera pas mieux. Les trois sorciers associés au chevet n’auront pas insufflé la vie, le taureau mort-né se couche sur le côté, (de portrait en paysage), il se métamorphose en une copie mâtinée et bigarrée de notre grand Turner  tartiné.
La « vie silencieuse » de Djief sera muselée en fin d’après midi par un encadrement qui lui donnera le statut d’œuvre d’art : elle passera quelques semaines  dans le hall lumineux, à hauteur d’œil, au nez et à la barbe des passants arrivés après le spectacle.
Cet après-midi là, nous avons été de bons auteurs, la pièce était bien bonne, bravo ! Les sept z’artistes avaient fait les choses comme il faut.  (Brassens.)
. . . A vendredi prochain

***

Chine.
Trouver des pinceaux qui  vaillent et qui m’aillent n’a pas été facile ; seulement des pinceaux empesés pour touristes qui, de retour at home,  ne seront présentés que morts dans leur écrin. On peut pourtant trouver des pinceaux dans tous les lieux touristiques ; des femmes harcèlent le promeneur hésitant avec leurs boîtes variées à dix yuans. Sur les étalages des marchand d’estampes, ils sont tous alignés, des blanc en poils de chèvre, des gris en poils de cheval sauvage, etc. l’outil n’est donc pas rare, mais impossible de savoir si l’on pourra encore compter dessus pour peindre quand on lui aura enlevé la couche d’amidon qui lui donne de l’embonpoint et une belle queue effilée, jusqu’à n’être qu’un point, à l’extrémité.
Un  bon pinceau peut se comparer à une montre suisse.
Le choisir est plus compliqué que de choisir un bon melon.
Il faut parler le chinois ou trouver quelqu’un qui puisse le traduire, pour mener une enquête et dénicher les artisans qui fabriquent les véritables pinceaux chinois de qualité.
Même les plus vieux chinois qui écrivent dans la rue ont remplacé depuis longtemps le pinceau par le stylo à bille : l’écriture reste cursive, mais, adieu pleins et déliés. Dans la presse quotidienne les claviers d’ordinateurs génèrent les idéogrammes géométriques et colorés inscrits dans des carrés ; fenêtres baroques de mini immeubles conventionnels de toutes tailles.

La calligraphie est un art qui doit être la projection totale d’un état d’âme.
 « Exprimer sa joie et sa colère, sa peine ou son bonheur » Han Yu.

 J’ai essayé de trouver des calligraphes ailleurs que dans les écoles : je ne crois pas à la sincérité de la plupart des publics qui s’y adonnent souvent par nostalgie, ou pire, seulement pour l’aspect technique. Je préfère les hommes et les femmes qui écrivent ; qui écrivent, tout, vite, lentement, petit ou grand parce qu’il le faut pour être compris à tout prix, de tous et de loin. . . (Le maître de conférence qui écrit  sur une sorte tableau noir, le pinceau étant sa craie efficace, derrière lui, tout un amphi suit…) Ce n’était pas un maître que je recherchais mais un scribe bas de case qui écrit pour son job. Celui-là me donnera bien l’adresse de son fournisseur !
Quatre jours d’errances plus tard, par hasard, mais l’œil aux aguets, je prends en flagrant délit un homme en train d’écrire au pinceau : heureux !
Un menu, je suppose ? Sur son grand panneau de bois rouge qu’il venait sans doute d’effacer. Le premier  pinceau chinois que je vois virevolter et déposer du blanc sur du laqué rouge vif. J’en oubliais la torpeur et une tenace odeur de pâtée de foie chaud que je refusais de respirer. Devant moi dans la foule, très à l’aise, le maître queue du restau  tentait d’allécher les badauds à coups de pinceaux en leur proposant un nouveau menu. Ils s’en fichaient tous, il n’y avait que moi qui regardait, (plutôt que lisait,) ce qu’il était en train de barbouiller, (plutôt qu’écrire).
Fabuleux, en extase ; ce peintre n’exprimait rien de son for intérieur, il ne parlait pas de lui, il écrivait à la peinture blanche sur le fond rouge. Maistro. Sprezzatura. Bravo ! Il ne travaillait pas trop vite ; Fluu, flaa, stuu . Et hop !
 L’idéogramme est cadré, aligné, bien léché. Dix minutes plus tard : un chef d’œuvre. Il m’aurait été difficile de donner une notion de temps si je ne l’avais pas vu exécuter son panneau d’un mètre carré.
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé exactement. Ce fut très rapide, un état second dont j’ai honte, moi qui ne peux même pas chaparder une tablette de chocolat dans un supermarché, tant le rouge de la flétrissure me monte au visage, je ne sais pas ce qui m’a donné des ailes aux chaussures, toujours est-il que j’ai pris le pinceau du cuisinier entre les mains, une belle bête, sans l’intention de le déplacer de plus de vingt centimètres, sans raison, sinon celle de ne pas pouvoir lui expliquer que je voudrais acheter le même outil.
-« Où l’acheter ? »
-« Comment le dire en chinois ? »
C’est la surévaluation de la difficulté à me faire comprendre qui m’a fait serrer plus fermement le manche et m’a fait prendre les jambes à mon cou sur deux cents mètres. Essoufflé, tenant le pinceau comme un saint Sacrement.
« Ange je t’ai ramené un seul pinceau mais un pinceau de qualité j’en suis certain. Ça a été une autre histoire pour faire voler le computer portable. »



***

Recette végétarienne : fondue de lettres, de mots et de phrases.
- «Votre écriture est compliquée je n’ai pas compris qui est le héros ? Combien il y a de personnages ? Où se passe cette histoire embrouillée qui n’avance pas ? De plus, vous semblez mixez plusieurs personnages qui ressemblent à des gars que je connais. Quelqu’un d’entre-vous est-il réellement allé à Hong-Kong ? L’un d’entre vous peut-il me dire ce que vous concoctez? On croirait du hachis.  La concubine lui a-t-elle vraiment dit adieu ? »
- « Fais un effort ! Relis tout, et concentre toi un peu plus, on ne peut pas cuisiner sérieusement en écoutant France Culture ! »
- «Ta réponse est un peu épicée, je  pense à ceux qui ont besoin de résumés pour dévorer leurs bandes dessinées hebdomadaires. Je vais essayer de te récapituler le début du roman. . , à condition qu’il n’y ait personne qui, après mon travail d’orfèvre, charcute, en renégat ou en maître du baroque dans cette partie ; je prends le risque. »

Le professeur d’arts plastiques rend visite à un ange appelé Détenu. Il faut comprendre que c’est le contraire ; Le maître professeur vient consulter Prométhée.., appelé Détenu. . , c’est un ange qui a des ailes et qui en sait bien plus que lui sur les feux de la vie. Il a tout appris à la prison, mais ça y est… Il sait, ça suffit ! Maintenant il aimerait bien ânonner à tout le monde qu’il n’y a pas besoin de plus de sept ans de réflexion pour faire le tour de ce qu’il est indispensable de savoir en gastronomie : passez à table, la méditation est trop longue.
Attention Ange n’est pas un mentor !
Le prof ne fonce pas tête baissée dans sa sagesse molle.
Le professeur vient davantage discourir peinture avec lui, qu’ajuster à sa taille le vaste monde dans lequel Ange vit. Mais, quand ils peignent une girafe ou autres chevaux en silence, par la peinture, ils déblatèrent sur le grand monde dans lequel le professeur vit.
Ange, envoie le professeur en Chine (mais il ne lui paye pas le billet). Envoie le prof en  Chine pour y quêter, un pinceau magique, et y acheter un micro ordinateur pour accommoder, de sa cellule, les lambeaux d’un grand « cadavre exquis. »
Il a l’espoir d’être aussi déconnant que Mary Shelley avec Frankenstein, le Prométhée moderne.
Donc deux personnages principaux pour l’instant : ajoutez-y quelques adolescents, des messieurs de tous horizons, et tous les gens que l’on peut trouver entre ces deux âges. Récurez quelques pots de peinture et mettez-y des phrases en charpie. Certains sont les grands couteaux de l’atelier de peinture, d’autres, cooptés, ne font que des incursions dans l’atelier, ce sont les marmitons.

- « Ce cadavre exquis (plier/couper/coller/copier) est bien ficelé, c’est l’ouvrage que tu lis en ce moment. Capito ! »
- « Loup, tout y est-il frais ? » demanda-t-il.
- « Ma chemise qu’il est vrai . Je suis en prison, c’est tout de même simple de croquer  l’honnête histoire de notre vie, les gens en goûteraient de belles tranches fines. . . Je peux dire pourquoi je suis ici ? »  « . . Je peux le dire ? » En réclama-t-il une autre tartine ?
 - « Crétin tu l’as déjà bredouillé au tribunal, tu ne vas pas te répéter ; t’as essayé de l’écrire ici, là-dedans, mais je t’ai tranché ton texte. . , ça n’avait pas d’intérêt, tout le monde est ici pour quelque chose. . , n’ont qu’à se référer à leurs journaux quotidiens régionaux favoris qui en parlent régulièrement, même s’il z’y disent des conneries.., ils ont même écorché mon nom, » réécrit-il.

- « Ce résumé imagé est revigorant mais il ne me paraît pas nécessaire. Personne n’a encore perdu le fil, sauf celui qui s’est torché le cul avec les 16 premières pages du manuscrit. »
- « C’est le cas de mon dico. . , pas torché avec, disparu !.. , qui commence à la seizième pages : adage, adagio, adamantin, adamique, adaptabilité. . . »
- « O.K pour ton dico.., mais c’est pas une raison pour résumer les 16 premières pages ! »
- « Un peintre grec a superposé 16 fois la même peinture sur le même support. Pour la postérité ! Comme un oignon, le temps l’épluche régulièrement, la peinture toujours nickel chrome !.»
-       « Tu vas décortiquer 16 fois le texte ? »
-       « basta… »

***

Effet spécial.
Le micro ordinateur s’est mis à léviter dans le magasin comme on pourrait le voir dans une pub télévisée. Dans le magasin pas d’effets de manches, juste la force  et l’envie de  voir le petit ordinateur faire le beau comme un bon petit toutou qui veut mériter son susucre ; et il flotte comme dans une pub pour laquelle toute une équipe se serait décarcassée. Il est entrouvert comme un livre dont on aurait relevé la couverture ; la première de couverture est couleur métallique, rien ne mentionne que c’est un livre grave et important d’un autre âge. Juste une pomme en plein milieu. Rien de trop.
C’est la deuxième de couverture qui en dit plus, relevée à quarante cinq degrés, je peux voir la Dame à l’hermine de Vinci qui dort yeux ouverts. (Whoua ! sur son épaule gauche, un pli de son vêtement dessine les replis d’un sexe de femme et . . , le capuchon du clitoris ? C’est Marlo qui a découvert cela par la suite). En vis à vis un clavier discret. La quatrième de couverture est gris anodisé comme la couverture pommelée.
- «  Une écritoire pour écrire une œuvre comme la nôtre ne doit pas se traiter comme une vulgaire transaction commerciale ! » Cette phrase résonnait dans la sono de mon magasin.
 Nous ne devions pas l’acheter ; trouver un autre moyen. Pas forcément illégal, plutôt original, donc illégal. Le gagner à la loterie d’un supermarché ? Non !
Nous emporterons celui qui volera vers nous.
Léviter c’est voler.
Ce  ne fut pas facile de faire léviter un ordinateur portable de deux kilos. Nous sommes revenus régulièrement pour reluquer les belles machines  et peser les atours des unes et des autres. Inlassablement mon fils, grand connaisseur, et moi, relisions régulièrement les étiquettes en anglais : les drives, les rams, les bits, les hertz, les mégas.
J’avais bien saisi la variété des micro machines dans toutes les vitrines relevées : toutes plus rutilantes et pimpantes les unes que les autres, plus enjôleuses pour un collectionneur ; clin d’œil, bouche en baiser qui fait « pfiii » pour séduire, pirouette d’images sur l’écran, qualité du grain.
Nous avions jeté notre dévolu sur une petite illuminée extra plate au clavier confortable, mais le sort en a décidé autrement ; celle qui, à notre approche, s’est mise à frissonner, puis à  se soulever de  quelques dizaines de centimètres dans les airs la jupe froufroutante, fut une autre pimbêche plus discrète que nous n’avions placée qu’en septième position : trop chère, trop ronde, trop cambrée. . , tout de même, sa distinction nous avait séduits.
Les vendeurs ne prêtèrent pas attention au phénomène de lévitation qui n’était sans doute qu’une banale accroche commerciale, un truc genre gondole de supermarché pour fixer l’œil. Quand, l’aura rose néon (lumière qui nimbe toutes les vierges des petits autels particuliers de Naples) scintilla tout autour de la belle  micro ordinatrice, nous n’eûmes aucun doute ; c’était l’élue, elle venait à nous.
Il a fallu lui donner un coup de pouce ! Elle clignotait comme une voiture en difficulté sur le bor la route, elle était en stationnement illégal ; elle n’a pas essayé de se réfugier politiquement dans notre sac à main. Il a fallu l’y fourrer.
Les vendeurs s’immobilisèrent les uns après les autres.
Ils se gélifièrent comme s’est figée l’humeur aqueuse des yeux des aveugles de Breughel*. (Tous la main sur l’épaule de l’autre et tous se cassant la binette dans la mare aux canards, d’avoir trop fait confiance au bâton du premier.)

* Ah mon beau miroir! un cédérom à consulter à chaque fois qu’il est fait référence à une œuvre d’art ! pour ne pas passer à côté des subtilités de l’image* : le repli de l’épaule de la Dame à l’hermine par exemple. 
*« Une image vaut mille mots. »  adage chinois.

Dans ce magasin ce ne fut pas la mare mais les vitres réfléchissantes du magasin labyrinthique que percutèrent les têtes des six vendeurs. Bosses assurées, désordre bienvenu, mon fiston, deux têtes plus grand que les chinois qui nous entourent saute sur le halo sphérique rose fluo qui contient cet obscur objet du désir destiné à mon ami Ange. La plupart des acheteurs potentiels furent si surpris qu’il tombèrent eux aussi dans la mare, pas bien profonde, toutefois suffisamment pour leur faire perdre légèrement l’équilibre. Mon fils est si grand qu’il attrapa sans difficultés cette espèce de ballon lumineux, dribbla trois curieux qu’il prit à contre-pied, esquiva les mains de deux vendeurs qui souffraient moins que les autres, fit demi-tour comme un échalas, prit l’escalier mécanique à contre sens et disparu dans le flot intense et homogène des humains qui s’écoulent à cette heure là. Il marchait vite en abaissant les genoux de façon à rester, à la surface du fleuve, à ne pas dépasser ; marche, genre danse du canard, comique, fatigante, mais efficace. « Crazy rejeton ! »
 J’aurais pu me débrouiller autrement. Me battre délibérément. Imaginez ; catégorie Bruce Lee, en costume traditionnel chinois, pyjama en soie, miaulant dix secondes face aux  perfides vendeurs éberlués de me voir piaffer. Ils se retiennent, déboutonnent lentement leur fausse et déplaisante paire de lunettes d’aveugles pour se jeter sur moi en effectuant cinq saltos arrière, dont un sur le mur et le dernier au plafond, ce qui m’épate mais ne me fait pas perdre la face. Je les reçois l’un après l’autre, plan par plan comme s’ils attendaient sagement leur tour au guichet pour se faire molester, et je finis par emporter l’objet indispensable que les méchants ne voulaient pas offrir de droit à mon sifu qui se tient à l’ombre dans l’humble maison d’arrêt.
Dernier plan : je suis prosterné et signifie à sa seigneurie, en chinois, que ça n’a pas été de la tarte que de lui apporter sa nécessité sur un plateau comme s’il fut un dieu de l’Olympe réincarné en Ange chrétien.

Dans la réalité : j’ai acheté l’ordinateur avec des H.K dollars et le vendeur m’a fait un bon de garantie inutile,  puis j’ai donné sans chichi le bijou à Ange, et il m’a fait remettre un chèque par sa mère. L’ordinateur n’a pas frissonné, je l’ai choisi plus ou moins au pif parce qu’il était beau, petit, je pense qu’ils se valaient tous. Ange n’aurait pas aimé que je raconte  les événements de cette manière.

Ange : « je me suis mis au travail d’écriture deux mois plus tard, le temps d’apprivoiser la tigresse qui ne se laisse pas facilement administrer n’importe quel logiciel dans le gosier, et notamment celui de la reconnaissance vocale : l’ordinateur transforme ce qui est dit en texte. L’air con, seul dans ma cellule, casque sur la tête, micro♪ devant la bouche, c’est parti pour écrire notre roman. Que du charabia ! Elle n’a vomi que de la bouillabaisse de lettres sur mon écran. . , que du vomis ! la bougresse ! Tout à trier.
Deux mois il m’a fallu pour lui tirer les vers du nez, (la prose !). . , à l’évidence ce que je dictais à la sauvageonne ne valait pas tripette, seulement des phrases tronquées et nébuleuses  proférées. . , dans l’esprit de ce qu’on peut dire en courant ou dans la salle de muscu de ma prison : pas bien pantelant. Tout retravailler pour stabiliser les mots, distiller sur le clavier dans un deuxième temps, laisser décanter et peut-être se le faire décapiter par le suivant qui donnera un coup de sabre*   dans tout cela. Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »

*Coup de sabre: expression de maçon. (Nos pères sont maçons) Dans un mur de façade il ne doit pas y avoir de coups de sabre. Un coup de sabre est une faiblesse. C’est une ligne verticale de parpaings non croisés, trop alignés. L’édifice peut s’effondrer au moindre tassement de terrain.


Je fais un dernier essai avec le logiciel de reconnaissance vocale ; je picore dans le début du roman « Narcisse et Goldmund », les phrases sont bien construites, je peux m’entraîner à les dire :
Gil& ne se contenta pas de poursuivre ses études au prieuré, il décida aussi de consacrer sa vie à la peinture.
Ange s'intéressa beaucoup à ce jeune moine obstiné dont il n'avait pas tardé à discerner la nature et la destinée.
Gil& admirait son bienveillant professeur dont l'intelligence le dépassait tant. Il ne voyait pas d'autres moyens de gagner sa confiance  qu’à devenir un excellent élève.
Bien plus qu'il ne l'imaginait, l’apprenti peintre souhaitait devenir l'ami de son professeur. Il voyait en lui le pôle opposé au sien, une nature complémentaire de la sienne ; il voulait l’attirer à lui, le diriger, lui révéler sa propre personnalité, l'élever, l’amener à s'épanouir.
Depuis un an, Gil& était au monastère.

 « Pas très utile cette contrefaçon, qui amuse plus l’auteur que le lecteur. S’il te plaît ! Laisse lui lire entièrement, consciencieusement, à un autre moment, cette ambitieuse fable philosophique de Hermann Hesse. . .
Ou alors, demande au liseur, de chercher au plus profond de lui, quelle est, d’une part sa propension à se replier sur lui-même, rétrospection, et, d’autre part, son aptitude à explorer l’extérieur, les êtres humains, le monde. . , son côté généreux. Qu’il fasse deux choses à la fois. Qu’il cherche, maintenant, simultanément !
L’imposer au lecteur !
Les deux aspects cohabitent chez chacun d’entre nous. Il est indispensable de se recroqueviller dans sa cellule pour mieux se déployer dans le monde.  Dans le roman les deux personnages ne sont qu’un prétexte pour analyser cette dualité, ils ne font qu’un ;  je me replie, je me déplie.
« Je déplie et je replie, et ainsi de suite, et je vole. » discourut Marlo. (Ce fut mon livre de chevet pendant un an, ne le sabote pas !.)
-« M’en fous… »

Gil& resta solitaire, sachant bien que son ami Ange ne lui appartiendrait vraiment que quand il l'aurait révélé à lui-même.
Ange avait déjà entendu l'expression « aller en vadrouille». On signifiait par là les fugues nocturnes des élèves en tête de toutes sortes de jouissances secrètes et d'aventures interdites par le règlement du cloître ; ils encouraient les peines les plus sévères.
« Ange dit-il, puis-je faire quelque chose pour toi ? Je vois que tu es en détresse. Peut-être souffres-tu? Alors nous allons te mettre au lit et le faire donner la soupe des malades et un verre de vin. Tu n'as pas aujourd'hui la tête au dessin. »
Ce fut une étrange amitié celle qui s'établit entre Ange et Gil&. Il n'était guère de gens à qui elle plut et, parfois, on pouvait avoir l'impression qu'elle leur déplaisait à eux-mêmes.
Gâchage : Ange se sentait destiné pour son existence entière à la vie ascétique de moine, à l'effort vers la sainteté ; il était vraiment promis à une telle existence. Mais Gil& ne croyait pas que Ange fut appelé à la vie ascétique. Il s'entendait mieux que tout autre à lire dans la conscience des hommes, les choses lui apparaissaient avec une vive clarté. Il discernait la véritable nature de Ange et la comprenait à fond, car elle était une proie qui avait perdu sa propre spontanéité.
Sabotage : il le couvrit de barres dès qu'il fut dans la solide enveloppe de ses mères, souffre-douleur  d’une  éducation à errements et des préceptes paternels.
Dégradation : il soupçonnait depuis longtemps le simple secret de cette jeune pousse. Son devoir lui paraissait clair: dépoter le secret à celui qui en était porteur, le débarrasser de sa gangue, restituer à son alter ego sa nature vraie de peintre. Ce serait une récompense, mais, le plus dur était qu'il pourrait peut-être perdre son amitié.
 Humiliation : il fit un croque en jambe à la jeune pousse avec une infinie lenteur.
Ou bien ; il fit un croquis et engendra la jeune pousse avec infiniment d’erreurs.

 « Un pour cent d’inspiration et quatre vingt dix neuf pour cent de transpiration*. » Opprobre goethéen.
Ouste, le micro ♪ et le casque !

L’écrivain prend la plume de l’épervier. Il la taille, la trempe dans la transpiration* et écrit des rectos et des versos invisibles :
«                                                                                       »


Un épervier d’Europe s’est pris au piège dans les rideaux de la grande cuisine du prieuré : c’est une chance qu’il se soit fait immobiliser ainsi dans ce filet improvisé, sinon il serait mort d'ecchymoses et de lassitude  à se heurter violemment, régulièrement et alternativement aux  deux fenêtres opposées ; nord et sud. Il est tombé à l’intérieur du large conduit de la cheminée, depuis le haut du toit, vingt mètres, un entonnoir impossible à remonter. Par quel prodige ( et pour qui !) un rapace de cet acabit  a-t-il pu apparaître dans cette grande cuisine de monastère restée toutes portes closes ?
(La même aventure est arrivée à l’un d’entre nous il y a quelques années en montant se coucher. Il s’est trouvé nez à bec avec une  magnifique hulotte. Un majestueux rapace aux yeux enchâssés dans deux écrins concaves de plumes blanches, impossible de le regarder ardemment les yeux dans les yeux.)
C’est à cause de la pluie que l’épervier s’est fait piéger dans cette grande salle froide ; il s’est glissé sous le chapeau de la cheminée du toit, et patatras !  Tel un lapin blanc. . .
Impossible d’y battre les ailes, il y a même perdu une grande plume grise d’écrivain.
Gil& a réussi à le prendre par le dos en enserrant les deux ailes, comme on prend les oiseaux, il n’a pas eu à subir de misères ; il était épuisé. Ensuite il a hasardé son index à proximité de ses serres, par jeu ; quelle idée ! Il le lui a fait prisonnier, il serrait très fort, à plusieurs endroits sa chair était prête à céder. Il ne lui fallait pas bouger le petit doigt.
Il a pensé un instant, qu’il allait lui falloir patienter longtemps, jusqu’à ce qu’un des siens le délivre en libérant l’une après l’autre, patiemment, les longues serres blessantes de l’épervier. . , à moins que le fier oiseau le décide de son propre chef. Gil&, lâcha les ailes, supposa que l’épervier  oublierait son doigt marqué, espéra qu’il ne l’emporte pas comme un passereau, (il en mange deux par jour !)
Il serre les dents, lâche les ailes, et hop ! Il se cogne  dans la vitre. Il le reprend pour le plaisir. Il tient à le présenter aux autres avant de le libérer : c’était un seigneur aux yeux jaunes orangés. Des objectifs perfectionnés de caméras de surveillance fixés sur lui, pas intérêt à broncher ni à chaparder quelque chose à l’étalage. Il doit être équipé d’un zoom numérique X50, c’est sur la notice du catalogue.
Il est sous la pluie et libre.
Il pleut, il est libre.
Il vole sous la pluie. 
La plume. , par la suite. . , il l’a ramassée. . .
Gil& l’a offerte à Ange l’écrivain qui lui avait donné, deux ans plus tôt, la plume du peintre.
(Ange a maintenant de quoi travailler, il a tout ; une plume, un pinceau chinois, un ordinateur qui traite le texte, et la transpiration comme ancre.)

***

Un grand peintre, Marlo manque beaucoup au duo. Ange l’informe par courrier de la tenue de l’atelier de peinture :
Cher Marlo,
Gilet travaille avec un de ses anciens élèves, artiste marseillais de la Place Belsunce, ravi, dit-il, d’être phocéen. Il a déménagé des Vosges à peu près en même temps que toi, mais pour toi cela se dit « transféré ».
Vous vivez tous les deux sous le même climat, c’est tout ce qui peut vous rapprocher. Tu fais allusion à la température dans le petit mot que tu as envoyé à Gil& ; « Il y a du soleil ! » lui dis-tu et Gil& de se moquer : « Lui qui n’aime pas que l’on parle du temps ! »
On ne sait rien d’autre sur toi. . .
Depuis quatre mois nous peignons sans toi, mais avec toi, tu es irremplaçable. Le cours d’arts plastiques sans toi finira par devenir. . , par redevenir un endroit où les débutants s’échoueront sur le papier ; victimes de la méticulosité de leurs gestes précis, mais sans idée générale et généreuse sur la matière molle acrylique. . . et sans avis sur les Grands Maîtres qui guident un peu nos esprits, un peu moins nos mains.
Gil& dit que nous avons vécu une belle aventure, dommage qu’elle n’ait pas eu lieu ailleurs, car elle a tout de même été vécue à nos dépends. . . il faudra qu’il développe cette idée à un autre moment ou lorsque nous nous reverrons ailleurs qu’en prison.
L’homme à la veste de cuir (marron) et à la manche à rayures (bleues et blanches) emprunté à un Hollandais du XVII ou XVIIIème, est notre chef-d’œuvre. J’y ai retravaillé la manche quelques heures, elle est devenue plus bouffante, plus galbée, mais moins que les fesses, les cuisses et les seins de la centaine de femmes que tu as réveillée au charbon, jour après jour hors du papier gris. . . Une volumineuse liasse dont je suis le gardien. Tes piles de livres dorment, nous en réveillons certaines. Gil& a ébouriffé, rayé et corné un bouquin sur l’art Néo-académique « bourré d’éclairantes anecdotes » m’a-t-il dit. Il l’a lu en allant à Londres, (sous le tunnel). L’homme à la manche crevée siège sur la plus belle cimaise de la maison d’arrêt depuis quatre semaines, il entend beaucoup de choses qui ne le concernent pas souvent. . . quelquesfois si : de l’admiration !
En espérant que cette lettre t’atteindra.

Elle m’a atteint.
A Marseille, j’ai croisé un ami : une statue colossale. Vous souvenez-vous (en bas du Prado) de la réplique du David de Michel-Ange ? Lors d’un règlement de compte, le beau David, symbole de l’ambiguïté masculine, se sentit gratifié d’une balle perdue dans une partie charnue. Verdict : 15 et 20 ans pour les auteurs du malencontreux coup de fusil. Il n’empêche, qu’en passant devant lors du transfert j’ai bien vu qu’il serait du plus bel effet dans mon salon au village. Je ne sais pas d’où vient cette réplique mais renseignement pris, un atelier en Italie la propose pour 150 000 Euros. En attendant le marbre, je me contenterai de mes dessins au charbon.
Rappelez-vous, maître, votre théorie d’inspiration néo-freudienne que vous eûtes sur l’influence entre le vécu de l’enfant et ses futures œuvres artistiques d’adulte. J’y ai beaucoup repensé !
 Je ne sais pas si la création artistique vient de loin mais puisqu’elle semble absolument devoir venir de quelque part et que ce ne peut-être de la vieillesse future, d’une vie antérieure ou de chez le boucher admettons-en l’origine dans un passé plus ou moins proche. Michel-Ange n’est qu’un ado attardé se débattant au milieu de ses poupées Big Jim cassées. Edifiant. Et dire qu’il n’y a pas cinq minutes je ne me doutais de rien.
La journée avait déjà bien mal commencé. En promenade, Bill m’avait demandé le plus sérieusement  du monde : « Tu te souviens en 1976 quand il avait fait si chaud à Fresnes ?… » Sachant qu’en 1970 je vois le jour, qu’en 1997 je vis ma première nuit en prison, qu’en 1976  Fresnes m’était aussi connu que la ville dans laquelle je suis actuellement, précision faite que Bill est un vieux voyou de la vieille connaissant mal son arithmétique et comptabilisant plus d’années  de prison que de dents en bouche, que le dit Bill régale quelques privilégiés par ses discours qu’il écoute lui-même, je décidai que la question n’en était pas une ? Tachons plutôt de garder le silence et notre sérieux me dis-je ; plus tard peut-être vérifierons-nous si je n’ai pas pris un sérieux coup de vieux. Miroir mon bon miroir dis-moi qui est le plus vieux. A côté de moi Bill continuait de rappeler à lui ses souvenirs de 76 qu’il écoutait pour moi ; à côté de Bill, moi, je me rappelais les miens, sans lui.
Et c’est vrai qu’il avait fait chaud  cet été, un record de canicule l’été 76, et moi aussi j’en avais vu des choses l’été 76 par une chaude après-midi de juillet pendant que Bill souffrait de la chaleur à l’ombre.
L’après-midi 76 n’avait pas particulièrement bien commencé lui non plus, comme tous les après-midi à l’heure de la sieste, Marlo et son frère, six et neuf ans, jouent à leur jeu favori : se prendre pour Zorro. Et alors que les hospices psychiatriques sont peuplés d’adultes s’identifiant à Napoléon (une main dans le veston) les deux frères absous par leur seul bas-âge déambulent devant leur maison au village dans un déhanchement débile de cavalier à pied, revêtus de l’idée de la panoplie noire que leurs parents n’ont pas pu leur acheter, en donnant du « Yah-yah Zorro ! » et fendant l’air avec l’épée qu’ils n’ont pas. Affligeant.
Sur ce, arrive Jean-Pierre Desbois, neuf ans, petit dernier d’une famille de délinquants, futur délinquant lui-même. J.P salue les deux faux Zorro, rejette la proposition d’en incarner un troisième et lâche :
-       « Z’avez vu derrière chez vous,
-       Non, quoi ?
-       La voisine derrière chez vous, elle est à poil.
-       . . . 
-       Venez avec moi, de chez vous on peut la voir. »
Remarquez que J.P a de la conversation, trois phrases à lui tout seul, avec formule interrogative, vocabulaire varié et plan d’action. Epatant non ?
Les deux autres moins éveillés certes, mais volontaires acceptent de céder le commandement des opérations à J.P ; oublié Zorro. Et voilà nos trois conquérants bien cachés derrière un vieux mur attenant à la maison familiale. Derrière un mur percé en un seul endroit, le partage de l’œilleton est dur entre les trois mateurs : « Moi d’abord » - « Chut ». Pourtant J.P le futur délinquant n’est pas encore un escroc et comme promis la voisine « à poil » est en train de balayer sa terrasse au premier étage. Nos esprits d’adultes détraqués par l’éducation pourront se demander pourquoi tant de recherche artistique chez cette voisine dans la tâche ménagère la plus vile qu’est le coup de balai ? (Trop forte chaleur ? Certitude d’être inaperçue à l’heure où tout dort ?)
Etonnant, non ?
Pas tant de calcul chez nos trois amateurs, seul compte le partage de la lucarne : « A moi c’est mon tour ! » Temps d’observation trop court, belle au balai trop mouvante, trou trop réduit, les trois matons n’y voient finalement pas grand chose et jamais la même chose. Lorsque J.R cède sa place à Marlo avec un « regarde le cul qu’elle a ! » la dame se présente à celui-ci de face. Assurément non, « ceci n’est pas un cul » se dit Marlo en connaisseur, et J.P soulève là un lourd problème de sémantique. De plus « On y voit mal » et déjà c’est « au suivant » qui lui non plus « n’y voit rien ». Décidément jamais content. Alors J.P, pour plaire à ce mauvais public emmène discrètement tout le monde au pied de l’escalier extérieur menant directement à la terrasse interdite. L’approche en ordre de bataille a été rapide  et les trois généraux tiennent conseil au pied de l’Olympe. « Et maintenant ? »
Tout le monde en accord avec tout le monde : « Il faut monter. »
Personne en accord avec soi-même : personne ne monte.
Dieu qu’il en aura fallu du courage à Danton pour gravir les marches de l’échafaud, une à une, jusqu’à la lame et de lancer, théâtral : « Bourreau, montre ma tête au peuple, elle en vaut la peine ! » Diable qu’il en aura fallu de l’audace pour monter cet escalier jusqu’à la femme  castratrice et s’entendre dire « Vauriens, vous n’avez pas honte ? »
Tout ça pour ça. Non, cela n’en vaut pas la peine. Moins courageux que Danton mais plus philosophes les trois faux généraux décrètent la déesse indigne d’un hôtel de passe et organisent la retraite. La grande armée se débande et s’enfuit sans souci pour ses arrières. Affligeant.
Tous ces hauts faits d’âne m’auront laissé le souvenir d’un petit bout de femme nue. Ce nu tronqué comprend tout ce que l’on peut trouver entre les cuisses et le cou d’une femme de race blanche très bronzée, moins de trente ans, plus d’un mètre soixante, aux petits sinus*. (N.B : l’épilation du mayou n’étant pas de mode en 76, une vraie brune). Edifiant.
On n'en verra pas plus, l’affaire fut sans suite et les jours suivants la routine quotidienne reprit ses droits solidement défendus par trois faux Zorro. Affligeant.
Mes souvenirs de 76 touchaient à leur fin ; ça tombait bien car Bill venait d’interrompre son soliloque commencé tantôt et à l’expression de ses petits yeux ronds comme des billes je compris qu’il me demandait mon avis. Mon avis sur quoi ? Va savoir, alors :
« T’as raison Bill, C’était mieux avant, aujourd’hui y’a plus de mentalité. »

*sinus : mot lat, pli. Par ext, courbe, sein.

-« Remarquable explication ! Auto-analyse lucide, autant pour l’interpénétration des différents niveaux de lecture que pour la notion du temps en poupées gigognes. . . » Gil&.



Marlo est revenu. (Autre transfert.)

Alors que nous mettions en place à grands coups de brosses les bases d’une grande peinture murale que nous allions batailler sans doute à quatre, Marlo peintre des femmes, qui voisinait Gil&., à le toucher du coude, lui lance ;
 -« Vous avez bien lu ce que j’ai compris sur moi en écrivant cette lettre ? »
 -« Oui..,» balbutia Gil& sur ses gardes. Lorsque Marlo l’entreprend, c’est souvent pour lui envoyer une vacherie culturelle : il le met face à ses manques, et il essaye, tout penaud d'ingérer la connaissance empoisonnée que Marlo lui livre sur un plateau, à la cuillère parce qu’elle est nécessaire pour sa pelote en arts plastiques et son travail de professeur. Il est son  meilleur agent, il ajoute toujours des poignées à ses tiroirs. A cet instant Marlo voulait être certain qu’il avait compris l’allusion.
Marlo dessine
Marlo dessine beaucoup et souvent.
Marlo dessine depuis cinq ans, en cellule.
Marlo ne dessine que des femmes tronquées ; ses nues sont cadrées très serré, on n'y voit presque jamais la tête, il coupe la femme à des niveaux différents. Les jambes sont assez souvent représentées mais seules, et elles se croisent. D’une manière générale le corps de la femme est en morceau, en gros plan, au fusain sur format raisin, 50X65 gris.
Plus de cent femmes forment ce « bain turc-ingresque-éclaté » ? Les originaux sont nécessaires. Eux seuls sont susceptibles de transformer vos impressions rétiniennes en valeur tactile. . . Les originaux devront être exposés pour être caressés
« Un tableau qui ne dérange pas, n’en vaut pas la peine. » Marcel Duchamp.

« Je suis de passage, en vernisseur, en embaumeur, en taxidermiste, je ne fais que donner ma bénédiction. Je ne peux l’aider, il progresse seul… » écrit le professeur.
Cet artiste moine, manieur de charbon de bois aiguisé, bouleverse la feuille de papier, plate et souple, il en extrait des seins, des fessiers, des volumes généreux et débordants.
Ce magicien du fusain est un faiseur de peau de femmes caressées. Il réussit à donner aux yeux, des cuisses à bichonner, des chutes de reins longuement enduites, ointes, pour la révélation.
« Faire régulièrement des exercices de mémoire pour ne pas oublier ». (Approximativement cité... Jean-Paul Kaufmann. Otage au Liban. Il le faisait pour l’arôme des vins).
Il faut imaginer travailler ce « prisonnier moine », qui n'a pas toujours été prisonnier ni moine. Il choisit en connaisseur un grammage et une couleur de papier, comme un spécialiste en peau douce.
Le papier donne l'effet de se creuser et de se soulever sous ses doigts qui glissent, lissent, passent et repassent le fusain, écrasent et effleurent.
En quelques heures, ce Caravagesque, éclaire, galbe et enfle les formes.
Si on rassemblait les morceaux de femmes, si on les rendait caryatides, elles dépasseraient leur Pygmalion d'une tête.
En quelques années, le modeleur a pris de l'assurance. Il façonne, dessine et conduit une gorge, un mollet avec beaucoup de prestesse. Aujourd'hui, sans hésitation, il transforme en rondeurs sa feuille à dessin ; elle se gonfle comme une vénus préhistorique.
C'est de l'intérieur du papier que la poussée des corps naît. C'est pour cela que ses femmes donnent l'impression d'être prêtes à éclater comme de la baudruche. Les corps ne sont pas moulés, corsetés, gainés, limités dans l'espace, ils sont en expansion, nous les possédons du regard à leur maturité. C'est à ce moment-là qu'il les abandonne du bout du doigt, se recule et, en entrevoit une autre, lointaine.
« Le temps de ces quelques réflexions, je me suis senti enfermé seul et j'ai cru pouvoir comprendre, mais à cet instant, ma femme, est venue lire par-dessus mon épaule. J'ai senti son souffle. » écrit Gil&.

Marlo n’est pas candide.
Ce soir, comme tous les soirs ce sera des pâtes :
« Pasta, pasta, sempre pasta. »
« Carne, carne, sempre carne,. » disait un peintre italien en parlant de la femme.
Comment de la viande ?! C’est du papier, rien que du papier, tel est le problème !
« Carta, carta, sempre carta. »

Marlo lit.
Carmen avait en effet des jambes d'une extraordinaire  beauté. .
Carmen passait le plus clair de ses journées à se déplacer dans le très long couloir de l'hôtel. . .
Ce couloir, ce long tuyau nu éclairé seulement à ses extrémités, était naturellement destiné aux jambes nues de Carmen et ses jambes y profilaient toute la journée durant leur galbe magnifique. Ce qui faisait qu'aucun des clients de l'Hôtel Central ne pouvait les ignorer complètement. L’eût-il voulu de toutes ses forces, et qu'un certain nombre de ces clients vivaient constamment en compagnie de l'image harcelante de ces jambes. D'autant que Carmen. . . portait des robes si courtes que de ses jambes on voyait aussi le genou dans son entier. Elle l’avait parfait, lisse, d'une rondeur, d'une souplesse, d'une délicatesse de bielle. On pouvait coucher avec Carmen* rien que pour ces jambes-là, pour leur beauté, leur intelligente manière de s'articuler, de se plier, de se déplier, de se poser, de fonctionner. . .

« Marlo n’a pas toujours lu une femme. Ce qu’écrit une dame était forcément de la merde, zéro de création ; de plus, une dame médiatisée, donc frelatée. Depuis il a inversé la vapeur ! » 

* in « Un barrage contre le Pacifique. » de Marguerite Duras

En été, Marlo jouait à Zorro sous les chaudes terrasses corses. En cellule, il a ciselé des dizaines de paires de jambes croisées ; jupes, bas, genoux, chevilles, hauts talons. Il écrit sous l’un de ses dessins au fusain : « Jambes de ministre. C’est lors d’une session de l’Assemblée Nationale qu’est apparue, dans un coin de l’écran de télé, cette paire de jambes croisées. A l’ordre du jour : parité hommes-femmes au Parlement. Une journée de jupes en quelque sorte. Pas moyen de savoir qui était cette député. »

Marlo rêve.
Les trois rêves de cette nuit ne font qu’un. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’ils se sont fondus dans sa tête comme trois restes de cierges pascals empilés, au point de ne devenir qu'un unique rêve à son réveille-matin. La cire écoulée est absente ; absolument soudés les uns aux autres.
Rêve moulé.
Un jeune mariole, d’un coup saute tel un cabri, et s’installe dans le cadre en planches d'une bibliothèque : se prenant pour un saint de pierre. Il a repéré un espace, une niche, qui n’est pas trop encombrée par les livres. Lorsqu'il s'incruste dans le cadre, pour se pétrifier comme un bienheureux dans un chapiteau roman !  Se cogne violemment la tête contre la planche vernissée du haut. Le rêveur ne perçoit pas illico que le cabri a une douleur au crâne. Tel un lombric il tombe de son perchoir. Brisé, en L , il tente malgré tout de se tenir en  i  pour lire la tranche d’un livre. Exténué par tant d'efforts de décryptage, il s’effondre, d’un coup. La colonne vertébrale s’est dissoute instantanément à l’intérieur du  i : c’est la seule explication. . .
 Le bluffeur est devenu  tout mou et tout blanc. En le dévisageant comme il ausculterait en gros plan un asticot accroché à un hameçon, le rêveur comprend qu'il est mort.., sans agonie.
Une jeune femme, ne semblait pas être dérangée par l’état déliquescent de ce fanfaron éteint ; une infirmière. Logique, à ses yeux, (qui étaient aussi les siens) , logique qu'elle admette la situation sans ciller.
 Définitivement couché ce i de bibliothèque est seulement en état de perte de reconnaissance de caractère : juste une pâmoison.

La belle infirmière aux longs cheveux noirs ondulés et défaits et lui, pas si beau qu’elle, mais musclé, ses lunettes au rancart..,  tout deux échinés à taper le truc mou, à le retaper sur le carreau, dans tous les sens comme s'il eût été un polochon de dortoir ; pour le faire cracher je ne sais quoi, un truc qui le rendait cotonneux. Il n'a rien expectoré. . .
Entre deux frappés de traversin, (Arrêt sur image : une hache levée tenue de main de maîtresse), la pimpante infirmière, lui a indiqué où trouver son lit.
Juste un seul lit aux épais draps blancs mats ; du lin. De si beaux replis de lit défaits qu’ils ne pouvaient avoir été organisés que par une main d’expert en natures mortes :
 « Un lit pour deux me dit-elle ! Essaie de me laisser une  petite place ! »
La situation l’effraie. Un accessoiriste de rêves  inattendu(s) installe un deuxième lit sans drap.
« Je préfère prendre celui-ci. » osa-t-il. Pas de réponse.., n’en est pas offensée.
 Aucune séduction ; prendre le vieux lit sans drap. Personne autour de nous, même le polochon  s’est volatilisé.., pas éclaté, gazéifié !
 Donc sans intention, si ! si ! (Ayez en l’assurance !) Sans duplicité,  sans chichi, dans le lit, en compagnie de l’ardente aux cheveux ondulés, à s’y méprendre, la « Dame à l’Hermine », (sans la robe, difficile d’être catégorique).
Lui en pyjama chinois, L en tenue de travail bleue !
« Accessoiriste ! `blanche` s’il vous plait ! »
Il est i couché sur le dos. Elle est assise sur lui en L.
Lit étroit !
Elle est L sur l'une de mes cuisses…  Un peu sur la hanche et sur le ventre. Elle se caresse le pied ?
De profil ; elle est la Dame à l’Hermine.
Cette jeune femme est Nad@ !
Erection,
               , qu'elle a pu percevoir sous sa fesse.
En habile pickpocket, changer la position de mon sexe. Ne pas le sentir par à-coups cogner à sa porte, et la bobinette cherra.
De fils en aiguilles, sous les draps blancs dans le noir.
Elastique légèrement baissé ; ou alors une forme échancrée de sa culotte ? Non. Un protège-slip en matière rigide dépasse hors du slip. . , de deux centimètres !
Déboussolé. Troublé, surpris!
De préférence, rencontrer autre chose. . .
Incongruité effleurée. Un  détail. Une libellule en plastique  épinglée sur une commode Louis XV ; la demoiselle aux ailes émeraude valorise la splendeur de l’abdomen.
Lui dans elle, l'un dans l'autre. Des préambules ? Non. Conjoints depuis longtemps. Habitués l’un à l’autre ; pas de parades amoureuses pour les hermaphrodites ?
Paroles. Relax. Deux anges riant sous cape blanche.
Situation cocasse ; pour elle. Elle dit en aristocrate ; «Mes âmi(e)s  ne me croâront pas ! Quelqu'un d'inâccessible, que je n’aurais jâmais cru pouvoir épingler à mon tableau. »
Pourquoi ? Homme extraordinaire ??? Lui retourner la remarque ; comme une chaussette.
Elle se réjouit. Âh ses âmies ! Elle choisit à haute voix, les meilleurs mots de ses amies : «                                             »     

. . . Bien vouloir mettre un préservatif, s.v.p, ou un autre truc, une autre solution, décrite en détails. Aucun souvenir de son truc ; très étrange ! Pas compris ce qu'elle a dit. Opté pour le préservatif ; sais mettre une socquette, rejeté l'autre possibilité ; rien qui vaille.
Très vive, moi, un peu assoupi.
Assise sur moi, elle en moi.
Rupture/cassure : (elle) amasse sa salive. Malaxe, augmente la quantité. Et ça fait des grands « chveu, chvuees » continus désagréables, entretenus. Ecœuré, pas au point d'arrêter tout. (Si remettre souvent ça ensemble, trouver un moyen exquis pour interdire.)
Fracture : penchée pour embrasser, versets de salive mousseuse, de sa bouche à ma bouche. Juste entrouvrir la bouche. Acceptation de cet exercice imposé. Rebuté. Elle n’imagine pas faire naître une répulsion.
Ne pas le supporter une seconde fois ! ! !
(L’articulation sur l’axe est très agréable ; positivement il ne reste que cela !)
Pas éjaculé en elle. Ceci explique cela. Un loupé. Pourtant possible ; mécanique bien huilée.
Réserver la répugnance pour plus tard.
Mettre en veilleuse
                                 en sacré bon dieu de décideur de rêves !
Allure ; pourtant au mieux à l’intérieur ; de mieux en mieux, toujours mieux, mieux toujours, à la limite, limite la à, à l’extrême limite . . . Pas passé au travers du miroir.
 Pas chagrinée pour deux sous !
 Et toujours, la mousse descendante par couplets. Et pas chouchoutée en retour par quelques saccades ascendantes. Stalactites/ Stalagmites.
Brûlure ; puis, il a mis le feu à la grange du prieuré pour éviter d'avoir à la démonter planche par planche. Prétention à pouvoir maîtriser le feu en jetant des seaux d'eau sur les foyers trop importants du brasier. Surévaluation des capacités à remplir les seaux. Petit débit de la source qui remplissait le bassin. Propagation rapide du feu. Combat au milieu de ces deux extrêmes.
(Rêve à démouler à la louche.)

« Qu’est-ce que viennent foutre ces trois rêves, dont un protège slip, dans cette histoire de pinceaux ? C’est un passage qui me semble inopportun. . , tu pensais au `Grand Masturbateur`  de Dali ? »
«. . . Aux dessins de Hans Bellmer. . , plus subtil. . . Mais j’essaie plutôt de faire comprendre à travers ce tuilage de manuscrits qu’il n’y pas que la peinture qui m’intéresse. Toutes les images me passionnent, quelles qu’en soient les origines : j’appelle images, d’abord les ombres et les reflets dans l’eau, ce sont les plus anciennes avec les rêves et les hallucinations, puis il y eut le dessin et la peinture. Ensuite, la supériorité de la lumière (la photo) sur le pinceau. En cellule quand il n’y a plus la télé (la lumière), il y a les rêves. . , souvent mon père y est. »

Nos pères étaient maçons.

**


Au trois compagnons s’adjoint Djief, un autre complice. Deux et deux égal quatre.

Filochard, Croquignol, Ribouldingue, (les Pieds Nickelés) et Gil&, (le professeur) ont mené joyeuse vie depuis quelques semaines. Ils se trouvent à nouveau en pleine déconfiture.
-«Il ne nous reste plus qu'à travailler ! »
-«Hourra! J'ai trouvé ce qui nous fallait. » s'écria Croquignol en relevant son grand nez du journal ouvert qu'il lisait pendant que ses deux compères ronflaient sur le même matelas de la chambre squattée.
Et ils firent « ce qu'il fallait. »
(Mon enfance fut rythmée, entre autres, par ce mensuel de bandes dessinées. Je buvais ces drôles de personnages, dessinés avec liberté, décontraction. Le trio était plein de vie, alerte. C'est le crayon de Pellos qui réussissait à le rendre si facétieux.)
Le 2 novembre 1997, l'affaire « ce qu'il fallait » est en déroute.
Le 3 novembre, la nouvelle de l’échouage du trio dans les journaux régionaux ne fait pas de grosses vagues.
Les Pieds Nickelés naufragés sur leur radeau, aperçoivent la voile du bateau qui va les engloutir. Leur histoire fait frissonner un département quelques jours.
Le 2 juillet 1817, soit presque deux siècles plus tôt, les trois rescapés et le prof se mettent à peindre un grand tableau pour commémorer l’événement bien avant qu'il ait eu lieu : Ecœurement général au salon de la peinture de 1817.
En 2001, soit à peu près quatre ans après l'événement, Géricault peint en prison une réplique de notre « Radeau de la Méduse ». Il réussit à peine à émouvoir les participants de l'atelier de la salle d'arts plastiques qui ne voient dans son tableau qu'une scène faite pour réjouir les amateurs de gonflette, écrit un journaliste anonyme de la « Gazette ».
La salle de travail de Géricault est moins grande en surface que le véritable radeau qui mesurait dix mètres sur vingt : la surface du microcosme du peintre était même de dimension inférieure à la taille du tableau des trois rescapés. La toile mesurera  4 m 91 sur 7 m 16. Deux murs latéraux encombrés d’étagères et de livres, le mur du fond entièrement fenêtré, celui d'en face, ne lui laissera qu’un mur de deux mètres cinquante de haut sur trois mètres de long, parce qu’il y a la porte. C'est tout de même sur ce mur blanc qu’il va tendre successivement six feuilles, pour arriver à réaliser définitivement une seule feuille de cinq mètres sur sept.
Une idée folle, Maman, même pour Géricault !
Le trio et le professeur, avaient une admiration sans limite pour le travail de Géricault. Ils ont étudié, comment il avait organisé son travail, quelles recherches il avait faites, ils ont vu toutes ses esquisses, tous les croquis, toutes les études que les différents ouvrages peuvent proposer. Puis ils ont examiné, comme des scanners, le moindre détail de cette mer déchaînée, le moindre recoin de ce plancher de poutres enchevêtrées et ligaturées, le plus insignifiant des muscles tendus ou fatigués, découvert la guirlande de drapé rouge qui serpente entre les corps des rescapés, vu le brick, une mouche à l'horizon.
 Lorsqu’ils discourent sur le radeau, les superlatifs ne suffisent pas. Comment Géricault si peu oxygéné par le lieu, a-t-il pu, rassembler autant d'énergie pour réaliser un tableau si riche en détails, si libre d’expression et de démesure ?
L'enthousiasme que nous avons pour son chef-d’oeuvre aurait pu avoir l'effet inverse ; c'est-à-dire nous couper les ailes, nous couper l'envie de peindre l'eau sous les pieds. Notre chance c’est de l’avoir peint deux siècles plus tôt. Ce fut, par la force des choses, une bonne conjoncture pour éviter le plagiat, la copie.
L'envie de peindre le tableau avant qu’il ne peigne le sien, était plus forte que la conscience de nos difficultés en dessin et en peinture. Donc, bien avant Géricault, nous nous sommes remémorés cette aventure mythique dont nous sommes les héros.
Nous avons rassemblés neuf reproductions de toutes tailles de l'oeuvre de Géricault peinte en 1996, des plus claires au plus foncées. Certaines virent franchement aux jaunes d’or, d'autres aux rouges orangés. C'est le livre de la collection « Gallimard Découvertes » qui nous a apporté le plus d'information et les meilleures reproductions des détails.
Dès 1817, les linéaments du tableau ont commencés à s’assombrir. Nous avons retrouvé une assez grande reproduction photographique du début du vingtième siècle, en noir et blanc; nous y avons repéré des ombres assez précises sous la tente de fortune que nous ne voyons plus aujourd'hui.
Nous avons décidé que le dessin ne serait pas notre problème majeur.
Ce fut notre perte.
Nous avons eu recours au rétroprojecteur ; ce fut notre erreur.
Dans l’atelier de peinture, de surface inférieure au vrai « tableau/radeau », dans le noir, le rétroprojecteur placé de l'autre côté de la fenêtre, à l'extérieur, en pleine mer, pour obtenir une image gigantesque, nous avons dessiné : décalqué pendant des heures la moindre ligne, l’ombre fugitive, le petit détail. Le recours au rétroprojecteur n’a pas réglé tous les problèmes de dessin : les lignes peuvent disparaître immédiatement sous les jus des premières couches de la peinture acrylique. Plus que cela, décalquer n'est pas comprendre. Comprendre le dessin d’un bras, par exemple, c'est pouvoir le déplacer dans l'espace, en corrigeant sans cesse le raccourci, c’est tenir compte de la pression donc de l’écrasement des muscles d'un avant-bras posé sur une poutre, tel un logiciel de 3D. Nous n'en étions pas là, nous étions incapables de modifier quoi que ce soit, de reprendre, une crispation des doigts, une main, une bouche entrouverte, un nez en contre-plongée Nous devions avoir recours à beaucoup de concentration pour ne pas perdre, la courbe d'un mollet, le profil incertain de certains rescapés anonymes, relégués dans l'ombre. Une vigilance que nous n’avons pas eue.
Notre radeau de la méduse est devenu une soupe, il est maintenant difficile de repérer des lignes franches à la surface du potage, tout est, d'une grande mollesse, baveux : juste des rais de lumière violentes, des reflets dus à des éclairs d'orage. Notre grande marmite s'est assombrie par les cuissons successives. De touillage en rattrapage, les couches d’écume se sont accumulées, les couleurs se sont salies, le dessin s'est gâté. Les morceaux se sont mis à flotter sur la surface bouillonnante, les cœurs n'y étaient plus.
Trois des quatre peintres se déplaçaient régulièrement chez leurs avocats pendant les six mois que durèrent les travaux. La peinture piétinait. La peinture augurait le procès proche ; une planche à savons, un toboggan, un sabot à la dérive.
Il était plus facile de sourire de notre résultat en peinture que de l'avancée du procès, pourtant nous étions des artistes dotés d'un solide sens de l'humour, et de la caricature : trois Daumier englués dans les goudrons, capable de brosser les portraits saumâtres des quelques spectateurs moqueurs qu'ils rencontraient intra-muros. Ils pouvaient rire de leurs aventures sur la mer.

Nous nous sommes enlisés dans les bruns, les bistres ; poissés dans la pâte qui devenait de plus en plus épaisse et cassante, nos six morceaux de toile devenaient de plus en plus lourds, de plus en plus fragiles : des croûtes, des lambeaux que nous reprenions inlassablement, dégoûtés, de plus en plus laborieux. Nous devenions méchants les uns envers les autres. Quelquefois nous réussissions à faire émerger des morceaux de corps humains qui nous satisfaisaient. Il arrivait qu'il puisse y avoir des îlots qui nous conviennent, l’un d'entre nous s'évertuait à rejoindre deux îlots, mais lorsqu’il empiétait sur le plus réussi pour leur donner une unité, il gâchait à nouveau tout le morceau. Chacun rejetait la faute sur l'autre, ce qui était souvent exact. Nous avions été trop ambitieux. Celui qui pensait être raccommodeur finissait par être le fossoyeur du travail du précédent (qui avait péniblement réussi à donner de l’allure à un travail trop peaufiné). Sarcasmes, quolibets, moqueries. Plus nous nous rapprochions de l'échéance, plus les personnages du radeau s'embourbaient dans la peinture, disparaissaient. Nous finissions par être les seuls à les voir.
Nous ressemblions aux enfants qui connaissent les grands fantômes de leur chambre : poissés dans le papier peint.., définis par les ombres de la lune, les objets et les motifs. La maman ne les voit pas au grand dam de l'enfant qui s'énerve et les dessine du doigt : « ils sont là, je les vois aussi dans les cauchemars de nuit ! » « Les monstres des cauchemars n'existent pas, c'est toi qui les fait!» « Oui mais, les monstres, il ne le savent pas que les cauchemars n'existent pas ! »


A quatre.
               Six mois.
                               Une descente
                                                      dans la peinture.
En 1818, les quatre peintres de la méduse, dont le professeur, furent condamnés pour la dégradation volontaire de leur tableau. Le procès tourna rapidement à l'accusation d'incompétence en dessin. Mais aussi, craquelures, coulures, macules, emplâtres, fissures, croûtes.
« Tout ce que vous peignez sera retenu contre vous. » Alechinsky.
Le reproche le plus juste qui fut adressé aux artistes était d'avoir montré trop peu d'entrain à récupérer le dessin de leur tableau, a fortiori lors des dernières séances. Sans doute qu'il est fort agréable, et plus facile d'avoir des pinceaux libres et hardis, que d'avoir du talent, c'est ce talent que les quatre artistes auraient dû prouver en cette circonstance.
« Mais, le plus grand défaut de cet ouvrage est l’incorrection du dessin. Les formes sont mâles et fortement ressenties, le faire est vaillant et vigoureux, mais on voit trop souvent dans les contours de l'exagération et tout à la fois de la sécheresse. C'est bien dommage qu'il n'y ai pas de figure principale, tout est ici hideusement passif, rien ne repose l’âme et les yeux sur une idée consolante : pas un trait d'héroïsme, de grandeur, pas un indice de vie, de sensibilité ; rien de touchant, rien d'honorable pour l'humanité morale, on dirait que cet ouvrage a été fait pour réjouir la vue des vautours ! »
Ce tableau, aujourd'hui intransportable, un jour sans doute disparaîtra, comme s'il s'agissait de la part de ses auteurs d'une attention délibérée. Il disparaîtra comme englouti, sur une barque sombre, dans une mer déchaînée. La mer, seule présence symbolique féminine du tableau. Le naufrage sera total.
Trouver la femme dans le tableau.



Il y en a une, musclée, Michel-Ange fabriquait ses personnages féminins très musclés trop musclés, de véritables Schwarzeneger. La femme est imposante, elle avait de beaux seins, Géricault n'en a pas faits, on découvre à peine son bas-ventre, son pubis et dans l'ombre. Elle est au troisième plan, dans la chaîne d'êtres humains agglutinés qui forment une oblique dans le tableau. La  large ligne entraîne le regard vers l'homme noir qui agite un grand tissu rouge. Elle pose sa main sur l'épaule du barbu à la chemise rayée. Son visage se trouve exactement à l'intersection des deux diagonales du tableau. Plutôt un être androgyne, les traits du visage sont trop émaciés, la lumière sur ce visage trop plongeante, du coup, il est bien difficile d'y voir une femme, juste deux beaux seins fermes peints par Ange. Il faut plutôt voir le sexe de la femme, peint par Marlo dans les replis de la manche de chemise du barbu qui tend le bras dans la direction du bateau mouche. Nous ne pouvions pas nous contenter de la présence symbolique de la mer. L'emplacement du clitoris de la femme se situe sur le coin inférieur droit d’un rectangle d’or* inscrit dans le tableau…
En revanche dans la géométrie de la composition, la touche de peinture qui représente le bateau au loin, ne correspond à l'intersection d'aucune ligne : nous  sommes presque certains que cette mouche est un satellite libre inutile dans l'organisation du tableau.

*Le rectangle d’or est magique ; quand on lui retire un carré, il garde les mêmes proportions entre longueur et largeur…                         
 Nombre d’Or = √5+I sur2=1,618..,   http//membres.lycos.fr/Villemingerard/geometri/NbOr.htm* …Mais sur notre radeau c’est de la blague, c’est juste pour dire qu’un clitoris mérite une bonne place sur le tableau.
*Authentique.



Progressivement, de jour en jour, d'année en année, le radeau de la Méduse s'est assombri. La peinture s’est dégradée, et s’est fait ronger par sa gangrène : les goudrons. Les fonds sont devenus instables. Déjà à l'époque, Filochard écrivait dans son carnet : « je cherche vainement à m'appuyer; rien n'est solide, tout m'échappe, tout me trompe.»
« À la vive imagination qui a enfanté une composition physique si énergique, il faut le secours et l'aide du temps. » Ribouldingue marmonnait cette phrase, alors que la toile n'était même pas sèche. Ce furent ses dernières paroles, sans vraiment le décider, il se scella.

Nous avons essayé d’écrémer la toile de son trop-plein pour la soulager. La stocker négligemment, la rouler dans un coin, l'oublier. La détruire pour la terminer.
Quelle grande décision prendre ?
Avant de rendre notre verdict, comme quatre loups en cage, nous avons tourné devant ces êtres piégés qui n’osaient pas nous regarder, la femme baissait les yeux. Nous avons fait notre procès, seuls, sans robes, sans perruques. Nous avons délibéré avec humour. Nous avons pouffé, éclaté de rire devant les jurés poisseux de la croûte. Nous avons vu et revu notre erreur, inlassablement pointé du doigt notre cruelle indigence en dessin et notre incapacité à garder les couleurs propres. Si bien réfléchi, que notre sanction sonna comme alléluia: confier la toile au meilleur peintre extra-muros que nous avions sous la main afin qu’il  l'améliore :  
- « Seule Nad@ peut la reprendre, et lui redonner un peu d'allure pour son embaumement ! »
Filochard aurait préféré la recycler, pour qu’elle serve de base dure et épaisse à un autre épisode pictural, mais, en aucun cas pour une autre de nos aventures, qui nous aurait rappelé trop de mauvais jours. Nous aurions eu l'impression de cloîtrer définitivement ces êtres déjà en si mauvaise posture.
Les pieds de Nad@  entraient régulièrement à la prison via le prof. Nad@ ne peint que des pieds. Elle pourrait sans doute peindre autre chose, mais elle n'a jamais essayé. C'est une spécialiste du pied et il y a beaucoup de pieds dans le tableau de la méduse, des dizaines. Trop difficile à peindre pour nous, alors nous les avons emmaillotés dans du chiffon pour ne pas avoir à nous en occuper. Nad@ est capable de voir les pieds dans tous les sens, sans en avoir sous les yeux, elle les retourne, les surprend par dessous, de trois quarts, en extension, sur la pointe, pesants. Elle les peint deux par deux en un nombre limité de coups pinceaux, par aisance, parce qu’il ne faut pas donner trop de coups de balais. Faut pas sentir le labeur. Pas plus de cent coups de pinceaux par pied.
Nous étions certains qu’avec elle, nos pieds iraient mieux, mais elle n'est ni spécialiste des mains ni des visages. Nous pressentions que, experte en pieds, elle ne pouvait pas être décevante en mains. Pour les visages sa peinture ne pouvait pas être aussi indigente que la nôtre. Nad@ à un oeil exercé. Elle est capable de dessiner avec justesse, plusieurs jours plus tard un pied nu en portrait observé quelques jours auparavant. De pieds en mains, d'une main à une épaule, d'une épaule au menton, d'un menton à la bouche; la montée progressive de ses compétences vers les yeux nous semblait possible pour une dessinatrice de son acabit. Il nous fallait trouver pourquoi elle se focalisait toujours sur les pieds quand elle regardait quelqu'un dans les yeux. Puis, l’inciter à s'intéresser aux autres parties du corps des hommes : aux muscles, aux tendons, aux cheveux, au nez. Elle a de très beaux yeux qu'elle a installé derrière des lunettes pour les rendre encore plus lumineux.
Nad@ est institutrice, elle dessine comme elle respire, et en a besoin. Elle s’est fait coincer les pieds dans des chaussures de danse lorsqu'elle était petite fille, ça l’a rendue nerveuse. Elle a donc fini par la retrouver, la raison.., en fouillant dans ses souvenirs avec son pinceau, lors d'une séance d'atelier animée par le prof. Comme Archimède dans sa baignoire, qui laissait couler ses robinets de peinture, elle s'est écriée :
« Ce n'est plus le pied ! Ce sera les mains, nez, sexes, seins, tout ! »





L’année dernière, Géricault sur son « radeau/atelier » s'est sans doute mieux débrouillé que nous, même après le passage de Nad@ qui a vraiment bien arrangé les choses. Il a sans doute trouvé dans sa cellule notre toile abandonnée. Il a tiré les enseignements de notre ratage. Il a pris des décisions de titan. Installer de véritables personnages de cire sur le radeau pour en faire des croquis, allumer de grandes rampes de bougies en hauteur autour du radeau, qui ont donné, sur les corps nus, des indications de lumières plus justes que les nôtres. Il a donc, beaucoup dessiné d’après nature morte, appris par chœur la moindre variation dans l’espace des déplacements des corps. Géricault est devenu capable de tout faire évoluer, de retrouver un muscle sous les jus malgré les épaisseurs successives: nous, nous avions travaillé à la lumière fixe du rétroprojecteur, elle nous a trahis.

(Repérez les trois Pieds Nickelés :)
1.              Ange = Filochard.
2.              Marlo = Croquignol.                             
3.              Djief = Ribouldingue.
Le professeur = Gil&.
Nad@ = Nad@.

Djief est, dans l'ordre, le quatrième personnage principal. Il peint, mais il n’écrit pas. Il vient, mais il ne parle pas. Voici deux ans qu'il se rend régulièrement, tous les vendredis après-midi à l’atelier d'arts plastiques, il y peint avec les mains, mais il n'ouvre pas la bouche. Il a participé à l'exécution du radeau comme les trois autres membres du quatuor ; il a articulé des phrases de mécontentement, de ravissement. Il a eu sa part, moins que les autres, il a défendu son bifteck. Il a peint sa surface comme les autres, il est des nôôôtres, il a vu comme les ôôtres ! A cette époque là, il parlait comme les autres.
 C'est le verdict qui lui a cloué le bec : « le trait trop relâché, la pâte trop relax. »
 On peut sans doute rester bouche bée quelques instants et s’effondrer, quand on reçoit un verdict poignant. Lui a perdu l'usage de la parole ; un large procès qu'il faut franchir !
 De semaine en semaine Djief s'est tu. Ca s’est fait progressivement devant Ange et Marlo. Même sa peinture, plutôt souple, est devenue franchement transparente. Djief hiberna debout comme un hibou. Il s'est mis à attendre la sortie dans le silence le plus total de la nuit. Seul un ange communique avec lui ; ils échangent des phrases sous la volière, ce sont des mots corses. Il a effacé le français.
C'est le radeau de la méduse qu'il l’a fait se claquemurer.
Depuis l’échouage (de la méduse sur le sable), Djief ne peint plus que des taureaux de corrida transparents.
Djief est un personnage principal dont on ne peut rien dire. Juste le décrire ? Cheveux courts, calvitie sérieuse, grand, il a grossi, proportionnellement à l’escalade de son silence. Avant.., il a beaucoup voyagé en lisant ; « je serpente sur les petits sentiers escarpés, de la Haute-Corse. »
Je perçois son accent ; je ne me souviens que de cette phrase. En revanche, j’entends bien ses coups de pinceaux, titiller ses surfaces en camaïeux, chatouiller ses fonds de couleur. C'était un spécialiste des  grands fonds, il aimait tellement les fonds qu’il lui arrivait de les reprendre plusieurs fois sans que Ange le lui demande, alors qu'ils pouvaient être convenables dès le premier :
 « Ce n’est pas utile d’empiler les couches, lui disait Ange, il y en a qui ne serviront à rien ! »
Marlo répondait pour Djief : « Un peintre grec superposait trois fois la même image sur le même support. Pour la postérité ! Pour qu’à chaque fois qu’une couche se desquame il en apparaisse une autre par dessous ! »
« Tu as écrit précédemment 16 couches ? »

Habituellement, lorsque le quatuor repense à une toile peinte dans l’atelier, il se souvient mieux des mots exprimés que des coups de pinceaux exposés ; curieusement, les mots glissent sur le cadre,  alors que les traces des pinceaux demeurent sur la toile.
Depuis le fameux épisode de la faillite du tableau, Ange chaperonne Djief. Il le télécommande comme une mère téléguide son bambin vers le bac à sable ; du bac à sable au toboggan, du toboggan à la balançoire.
«  Djief redresse ton pinceau, prends garde à droite, prends garde à gauche, ce qui est en face est faible, retouche ce qui est incertain. »
 Marlo, lui,
                   prend des distances : « Est-il contagieux ? »
Un autre peintre Paul, ressemble à Djief, il a séjourné longtemps à l’atelier, il y a beaucoup peint, et profusément parlé: bavard, saoulant. Il saoulait/parlait et il se saoulait/peignait pour les mêmes raisons que Djief ; qui lui, n’a plus parlé, et de moins en moins peint.., seulement sur commande, juste pour grignoter le temps de séquestration.
Silence il ne  se repeint pas.


***

Carnet de croquis.
Les aventures de notre envoyé spécial ment à  Hong-Kong .
(Suite et fin.)

Le héros, la tête relevée à se la bloquer, alors qu’il croquait une des plus grandes tours que les Babéliens eussent faites sur terre, la baissa brusquement.
La baissa pour ne pas rester dans cette situation à regarder indéfiniment les tours et les avions des autres pays…
Pays qu’il serait amené à explorer pour les beaux yeux d’Ange...
Ange qui ne projette pas ses mirettes hors de l’enceinte de sa résidence si facilement qu’on pourrait croire...
Croire qu’il s’évade par le rêve, par l’écriture, par la peinture.
Notre héros était assis sur le quai de béton, les pieds ballants à quelques mètres du niveau de la mer. Il embrassait une tour d’un seul coup d’œil sans bouger le cou qui devenait douloureux, relevé, et tourné à quarante cinq degrés sur la gauche.
Il le baissa brusquement et le remit dans l’axe. Un cou fragile d’avoir trop dessiné les fourmis qui installaient une monumentale poutre d’acier à près de quatre cent mètres de hauteur.
Il voyait cette flèche du pied à la tête, avec sa tête et son pied à l’envers reflétés dans l’eau ; la baie ne l’en séparait pas.  Elle était juste devant ses cuisses,  en tête-à-tête  avec ses jambes pendantes qui s’enfourmillaient.
 Ainsi, alors qu’il se rafraîchissait le cou bouillant d’avoir embrassé l’épi de béton, ses yeux tombèrent dans l’eau scintillante.
Il avait donc abandonné momentanément son dessin déjà bien échafaudé de bambous, de hachures, de rayures, de griffures ; on pouvait presque compter les étages, plus de quatre vingt.
Cette baie basse et apaisante pour le cou, recelait des trésors de belles silhouettes de bateaux qui circulaient dans les deux sens comme s’ils s’étaient rendus quelque part et que leurs affaires aient été très pressées. Sur l’eau, tout ce beau monde nageait à la même vitesse, empressé, mais à vitesse constante. L’impression que par-dessous toute cette mécanique aquatique, juste à fleur d’eau, des rails des chaînes et des pignons invisibles déterminaient une activité intense et constante.
Un ponton tiré par un remorqueur un peu pataud mais robuste, et sûr de lui, attire le regard souffreteux du héros.

(À partir d’ici il faut aider le lecteur dilettantiste… Non ?
 Si vous êtes vigilant depuis le début et que vous comprenez tout, la moindre allusion, les références, ne lisez pas cette longue parenthèse/béquille… Sautez plus bas car les quelques phrases suivantes vont résumer trop clairement ce qui suit et alors, il n’y aura plus la montée progressive et poétique d’une angoisse au sein des cinq ou six pages qui suivent.
Choix !

Le héros c’est Gil&, c’est lui qui dessine l’immeuble en construction, ça s’est vrai. A cet instant, il vit une soudure hallucinatoire entre Hong-Kong et le centre de réanimation : il est sur un lit d’hôpital et il se réveille progressivement d’un coma, ça aussi c’est vrai ! Quatre jours. Une appendicite qui a viré en septicémie. Il est encore sous les drogues antidouleurs  c’est pour cela qu’il fait des hallucinations et conséquemment, fait des efforts surhumains pour comprendre ce qui lui arrive.)

Un ponton tiré par un remorqueur un peu pataud mais robuste, et sûr de lui, attire le regard souffreteux du héros.
Dans ce gigantesque chenal les petits trucs, grands, trapus ou effilés qui flottent, peuvent être autonomes ou pris en charge par des molosses qui leur mènent un train d’enfer. Le remorqueur qui attire son regard agité mène une danse invariable, en remouant des hanches comme une grosse bonne femme qui traverserait une rivière avec de l’eau à mi- cuisses et un chapelet de pneus noirs de camions en guise de tablier.
C’est le remorqueur qui me fit divaguer.
 Mon cou fragile, qui suivait difficilement le mastodonte, finit par prendre du retard, et mon regard s’échoua sur le ponton qu’il remorquait : un grand carré métallique hérissé de bites d’amarrages bridées par des aussières de grosse section reliées à la grosse dame de devant. La pétroleuse avançait sans être embarrassée par sa drôle de cargaison.
Oui, pour le ponton métallique ; l’image est vraisemblable !
Mais, non, pour ce qu’il transportait..,  uniquement de la fourrure blanche en vrac à ne plus savoir qu’en faire, même pas conditionnée par balle. . , et pas une grosse épaisseur. . , pas un mètre de hauteur. . , juste un tapis mal réparti.
C’est peut-être le contrecoup de ma tête mal irriguée d’avoir examiné trop longtemps le haut du pavé qui me faisait percevoir cette scène dans le grand miroir aquatique de la mégalopole.

« Jusqu’ici notre courageux héros ne faisait que regarder vaguement la mer et ses embarcations, mais un tapis blanc tiré par une dame en noir à pneus. . , ça l’a fait sursauter. 
Notre héros n’est plus à H. K, mais lui ne le sait pas encore, (il ne sait même plus qu’il y a de la vie sur terre). »

L’image se ratatine.

Il aurait bien aimé regarder  par l’autre bout de la lorgnette du capitaine.., pour voir s’il ne rêvassait pas.., se contenta de s’ébaubir les quinquets, de se les frotter en tournant les poings pour s’assurer de la véracité de l’image avec toutefois l’espoir de tout effacer.
Ça n’a pas suffi. Le tapis blanc était toujours sur le radeau/ponton.
Le ponton/radeau semblait bouger par ondes successives, soulevé par la brise de cette journée torride. Le radeau blanc flottant était à une centaine de mètres de lui ; dans quelques secondes, il ne passerait qu’à quelques encablures. (Une encablure vaut environ douze mètres. Quelques signifie ici: deux et demi.)
La dernière seconde arriva vite.
Mon héros, (de ses (vrais) yeux cligna), photographia au quinzième de seconde,(donc un peu flou), ce qu’il surprit au moment, où le radeau passa au plus près de lui. (La grosse veuve ceinturée de pneus noirs était loin, de quelques cinq ou six encablures ; il s’en contrefichait.)
Il développa le cliché polaroïd sur la rétine, le fixa dans sa mémoire ; ce qui lui donna le loisir de s’y attarder. Il le prit en main, l’inspecta à la loupe, et bien à la lumière.
( Flash back ; auparavant, sur les images en mouvement, il n’avait pas pu faire attention aux détails des photogrammes ;  notamment à la voile hissée sur le radeau, une voile discrète, d’un mètre de haut, gonflée et maintenue par la vergue. Voile inutile puisque cette drôle de cargaison était remorquée !)
En revanche, sur l’image fixe, (le cliché), ce qui lui semblait être un gigantesque manteau (de fourrures blanches), était en fait un tas de vraies bestioles fourrées.
Non pas des benêts vêtus de peaux de biques blanches, mais de véritables petits animaux blancs musclés aux courtes pattes et au museau proéminent. Il ne lui a pas fallu longtemps pour les identifier : il y en avait toujours quelques-unes qui prenaient pension dans le prieuré pour l’hiver : c'était des hermines.
Des centaines d’hermines.., sans doute destinées à être noyées au large.
Vivantes ? Elles remuent un brin, elles respirent peu.
Beaucoup jonchent le plancher métallique, sur le dos, sur le côté, dans tous les sens, par grappes. Certaines se protègent du soleil sous la voile de fortune*, elles sont difficiles à discerner, elles se glissent les unes sous les autres jusqu'à former une carpette épaisse, vraisemblablement pour tenter d’échapper vainement à la torpeur.

*si vous n’avez pas comme notre héros l’image sous les yeux, sachez que ce polaroid a beaucoup de points communs avec le tableau de Géricault ; cependant, autant son théâtre à lui est devenu sombre autant celui-ci est éclatant.

Qu’est-ce qu’elles peuvent bien foutre sur un radeau? Quelques bestioles se sont hissées sur une grosse caisse, et, grouillent en vain pour trouver une issue. Des esclaves se fondent parmi les blanches et se frayent un passage dans cette multitude. Deux vigoureuses hermines noires jonchées sur un tonneau en bois, l'élément le plus haut du radeau, se soutiennent mutuellement; la plus robuste agite un mouchoir rouge, elle espère être vue du quai.., à moins qu'elle n’exprime qu’un triste au revoir. La plupart semblent s'être abandonnées à leur triste sort, elles paraissent ne plus rien attendre du voyage.

Votre héros n'imagina pas que cette scène lui était destinée, il regardait le cliché comme s'il se fut agi d'une simple vignette de B.D : La baie de Hong Kong feuilletait au vent son magazine.

Le héros se croit toujours à Hong Kong, mais il n’y est pas. Il est ailleurs, pas bien loin du rien.

Les images se confusent et s’excusent :

Le mât du radeau est un beau pieu d'amarrage, (de la lagune de Venise), spiralé rouge et blanc, lumineux. La voile gonflée et rayée de rouge de blanc, c’est une grosse sucette en sucre d’orge.
Très délicatement (en live !) toutes les hermines se teintent progressivement en bandes horizontales et parallèles, deux couleurs ; orange et bleu.
 Mon héros suppose qu'en spécialiste de la palette graphique il opère* en direct avec son sabre laser retoucheur d’images. Prétention !
Il semble déterminé à teinter le film en deux couleurs ; par des rayures,  des barres, des spirales. Cependant, il laisse la mer bleue ; ¨mer-bleue¨, et, le ciel bleu ; ¨ciel-bleu¨. Ambition !
Ténacité ! Il y parvient.
Arrogance ! Il fait tourbillonner les hermines avec légèreté (toujours en live), comme des gros bonbons rouges et bleus à hélices. Les hermines dodues et aériennes s’éparpillent dans toute la géode, rebondissent sur les parois et conquièrent en grande partie le ciel azur et l’outre-mer.
« Ton héros a la tête thermoformée sur l'appui tête de son fauteuil, seules les petites billes de ses yeux peuvent bouger paisiblement, il ne s'en prive pas. »
Où qu’il dirige sa vue stéréoscopique, les hermines joufflues et ventrues voltigent dans tous les sens. Certaines passent en très gros plans flous devant lui, d'autres font des loopings dans ce grand espace comme de joyeux enfants de cirque en train de jouer sous leur chapiteau avec leur hélice dans le dos.
Leur héros a bien la sensation d'être au cinéma, un cinéma demi-sphérique pour lui seul, devant ses yeux ouverts. Il peinturlure les bestioles avec les couleurs de son choix, avec son logiciel 3D.
Le pro du spectacle décide d'utiliser pour cette autre scène un ruban rouge velours de grande longueur, et, de l'introduire par l'oreille d'une hermine, de le faire sortir par l'autre, puis, de le faire pénétrer par l’esgourde suivante, le faire ressortir, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toutes les hermines bicolores à hélices en état stationnaire soient reliées par un fil rouge qui dessine une grande arabesque vertigineuse de plusieurs centaines de mètres, claquant au vent, sous un vaste couvercle éblouissant claquemurant ses minuscules cavités orbitales.
Il aurait eu plus facile de ligaturer ses pieds de tomates avec ce trop grand lacet de chaussure rouge ; il n’a pas choisi la facilité !

Les yeux  grands ouverts sur le monde, la tête endormie sur ses deux oreillers, Notre héros est un  peintre jésuite de plafonds d'églises baroques ; il se concentre. . , s’extrême concentre de tomate et hop ! …La tribu de Cupidons bicolores s’immobilise, les phylactères rouges entre les deux oreilles, des lettres d'or s'inscrivent et défilent sur le ruban rouge comme sur un panneau d'annonces dans un aéroport.
Leur héros peint des hallucinations* en live.
Réveillé ?
En pleine vie, tout éveillé, en toute lucidité, il peut fixer ce qu'il télécommande, mais, ne rien voir de ce qui est de votre globe terrestre : il ne peut en saisir que des chimères, des formes molles, bien volumineuses, à satiété, mais rien ne ressemble aux choses de votre glèbe dont il n’a pas le souvenir mayonnaise à ce moment là.

* Rêver n'est pas halluciner : on rêve quand on dort, on hallucine éveillé. La différence est extraordinaire ; on peut être conscient que l'on hallucine, on ne l’est pas quand on rêve ; c'est seulement au réveil que Little Nemo prend conscience du rêve.

Gil& ne sait pas ce qu’est halluciner. Il ne pense pas qu’il soit possible de percevoir autre chose que la réalité sur la devanture de ses yeux bien ouverts.
Il dirige ses yeux : c’était bien huilé.
Sa bouche est sèche : pipette please !
Il prend la commande de sa bouche ; c'est une belle acquisition.
Il sent l'air s’infiltrer dans le nez ; aération des galeries.
Les yeux, le gosier, et le nez coiffés d’un drôle de truc gémellaire et gélatineux ; l’ensemble coïncide avec  l’intérieur d’un crâne humain. Néanmoins il n'a pas conscience d’un corpus ; il soupçonne seulement l’existence d’autre chose… Il ne réussit pas à compter ses excroissances ; seule sa tête est  vissée, là.
Où ?
Au milieu ?
Oui, quelque part dans l’espace géodésique gazeux. Là,  les hermines gonflées comme des panses bicolores de vaches mortes flottent en silence. Elles passent et repassent à travers ce gigantesque double truc gélatineux qui semble être son cerveau ; quelques bestioles sans gêne (prêtes à exploser) ont ignominieusement garé leur moteur à hélice dans ses circonvolutions comme elles l’auraient fait avec le pneu de leur vélo ;  en le coinçant dans les lobes.
Un souffle de pensées,  (les puissantes pensées de notre héros à tous !), et les hélicoléoptères cupidons  trop pansus se mettent à péter.
Pétarader !
Il essaye des commandes/poussées diverses, et, à chaque fois, ce petit monde rococo aux couleurs kitsches,  pète et sautille allégrement comme au jeu de la chaise musicale pour une assemblée aristocratique : le ruban rouge suit les changements de fessiers en s’emmêlant, l’arabesque est toujours élégante.

Gil& fait des efforts champollionesques pour mieux maîtriser  une situation qu'il ne déchiffre pas.

Les heures passaient, les images défilaient, toujours aussi ahurissantes ; il croyait de moins en moins à la fidélité de ce qu'il analysait sous sa coupole. Progressivement les images devinrent  franchement absurdes. (A fortiori lorsque, face à leur chevalet, les hermines en transe, les pieds au mur, se mirent à peindre des répliques de tableaux de peintres impressionnistes.., qu'elles les peignent en moins d'un quart d'heure, il ne put y croire, Monet passe encore mais pas Renoir, Renoir est un lambin . C'est cette pilule qui a fait déborder la couleuvre du vase qu’il n’a pas pu avaler.)

Plusieurs clepsydres se vidèrent encore.

Gil& comprit qu'il n'était pas dans son assiette, qu'il était ailleurs. . , dans l'assiette au beurre d'un autre. . , dans le lit défait d'un autre.., à la soupe populaire. . , certainement dans un hospice.
Ce qui lui faisait supposer cela, était un souvenir ketchup, quelque chose d’onctueux, d'incertain. Il se souvenait mollement avoir volé dans les plumes d’un hôpital. En voiture ?  Il s'y est rendu en voiture, seul, en première rugissante. Il n’a pas essayé la deuxième vitesse.
 Où ? In memoriam...

Du temps passe encore. . , comme toujours.
Rien pour le compter : pas de doigts, pas de quartz. Pas de grandes horloges de gare sous la coupole de son église baroque, juste les attributs des quatre évangélistes ; lion, taureau, aigle et ange.., qui n’aident en rien à égrener le temps !  Pas d’horloge : il se serait méfié d'une horloge de gare dans son cigare puisqu’il avait de plus en plus  la lucidité de ce qui se passait dans son encéphale. . . Encore peu de cognition pourtant.
Il n'osait rien prendre pour argent comptant.
Un tube dans l’œsophage.
Les narines entubées.
Rien ne lui rappelle ses mains.., pas de pieds, il avait maintenant conscience des manques à conquérir.

"Tout finit par arriver" dit Marlo en jetant un oeil sur le paquetage de sortie du plus ancien de la détention qui quittait la geôle.
"Faire l’inventaire !" décida  Gil&  entubé.

Ses deux oreillers l'empêchaient de tourner la tête pour examiner les collatéraux de sa nef. Il n'était pas assis en  F  incliné sur l’arrière comme il le croyait, Il était en  i  allongé sur l'eau ; (il comprit que c’était un matelas d'eau.)

Malgré ma vue emmêlée, je discerne trois paramécies rectangulaires accrochées. Trois trucs flous situés, en plein milieu d’un mur blanc, à une distance imprécise de mon lit. Trois rectangles comparables, fixés dans l'axe de mes yeux : essayer à tous prix de discerner (dans un brouillard) ces trois trucs imprécis collés sur le mur laiteux. Vérifier que les trois quadrilatères ne sont pas des images de dupes. 
Heures après heures, mon regard affaibli, à intervalle régulier, monte, régulièrement, à l'assaut des.., photos, épinglées, non identifiées.., je suis formol; ce sont des photographies !
Des tirages que je ne peux pas décrypter.., trop loin, dans la brume. Ma vue a baissé. . . Jusqu'à ce qu’après une plombe d’épreuves, j'en harponne une : "le prieuré baigné de verdure..,  agrafée.., par qui ? "  
Je comprends ce qui m’est arrivé. . . Dans un sale état, impotent, déchiqueté.










Comment un écrivain décide-t-il de faire mourir son personnage lorsqu’il, en a assez de le voir se déliter, quand il devient pitoyable ?
(Dans les indispensables notes en annexes de « L’œuvre au Noir », Marguerite Yourcenar décide de faire se suicider son personnage Zénon (lame de rasoir) quelques jours après le suicide de Montherlant (poison 1972) et celui de Mishima (Hara Kiri 1972)

Les pieds Nickelés aux commandes de ce « cadavre exquis » ne se comparent pas à elle, ils veulent juste lui piquer son idée !

La mort du héros :
« Aujourd’hui 20 novembre 2002, rien dans mon agenda ne m’incite à faire disparaître mon Gil& grabataire oscillant entre la vie et la mort sur son escarpolette…Au contraire ! C’est le jour de  Sainte Céline et, j’en connais au moins cinq qui aiment vivre.
Donc il vivra, mais je vais le laisser se retaper avant qu’il ne reprenne la peinture en prison. »

Placidement je fais le catalogue de ce qui retient son souffle.
-Quelques entubages.
-Des fils électriques ventousés sur la poitrine, reliés à une boîte musicale.
-Un tube pointillé rouge et transparent qui rejoint une bonne bouteille millimétrée retournée.
-Trois gros tuyaux de section conséquente, remplis par intermittence d’un drôle de liquide plus rouge vinasse que brun rouille, et de section supérieure aux autres tubes. Qui sortent d’où ? Ils disparaissent en rampant, à droite et à gauche, à la hauteur du lit qui flotte. Des drains. Très préoccupante cette tuyauterie ! Pince mi et pince moi... Pincements ! Ankylosé et resserré, donc vivant, mais propension à trépasser.
(Ai pensé à un ami qui a fait le con sur le bord de la piscine, et hop, à l’eau : tchonk ! Paraplégique. Sur le lit il a bredouillé : "ai eu de la chance, j'aurais pu mourir." Moi, in petto ; "n’a pas eu de chance, aurait dû mourir.")

Lorsque l’infirmière a dégagé le drap blanc pissé qui le couvrait, il entrevit un dernier petit tube qui sortait de sa blite flasque, "Comment ont-ils pu emboutir ce truc ? "

*Enlever le " l " de blite et le placer dans pissé si vous ne l’avez pas déjà fait naturellement…
*Opéré ; coup de sabre du chirurgien.

La tenaille d’agrafes, qui zig   zaguait depuis son plexus solaire pour finir, in extremis, au    ras  du riquiqui pénis de chair avachie noire, l’a stupéfait,    ,une zone bleu de Prusse dévastée ; violacée lui aurait         convenu. Tout un champ fichu ravagé par une armée        disparue. Qui a bien pu foutre un bordel pareil dans ce               coin ?
Même la chair du Christ        du Retable d’Issenheim n’est pas aussi faisandée... Si!      …Tout le corps du Christ est sinistré. Lui, une seule zone       (le ventre et le bas ventre), mais ça lui donne    une idée de      l’ampleur... Le Christ est piqué et infecté de partout. Armes      d’essaim d’insectes à gros dards, tous     restés dans la peau.        Presque des allumettes.
Il est bien mort de cela      lui, lui non.
Bienheureux le ventre      pétrit.
Dans le pétrin.



Francis Bacon, et Vélickovic font figures de peintres d’opérettes. Egon Schiele et les  autres, qui peignent la viande*  de manière assez brutale ; dans le  même sac !
Il n’a sans doute pas mobilisé ses connaissances en histoire de l’art à ce moment là ; ensevelies à cet instant-là. S’il avait pu exhumer quelques dents du champ d’Arès, il aurait sorti un pompier nu de Cabanel*, imberbe, casqué à la grecque, lisse comme sculpté dans un gros savon de Marseille, (tout neuf, sorti du magasin, le contraire de ce qu’il était lui). Quelqu’un l’avait labouré, vidé, et remis la tripaille en vrac. Beau boulot Mr le Comte de Frankenstein ! Satisfait.
Le demi litre de drogue faisait encore effet ? Il était convaincu que c’était cela qui le rendait euphorique. Sinon comment n’aurait-il pas été effrayé, à mourir d’un arrêt cardiaque. Aujourd'hui encore l'idée d’avoir eu cette quincaillerie de marionnette en permanence autour de lui pour renaître de ses cendres le fait à chaque fois frémir, (son écriture s’en ressent). Ce jour là, il se prit pour un Phœnix de quatre vingt quinze ans.

*Le dessin du Christ couché de Mantegna, en raccourci, est à Milan : les deux plantes des pieds occupent une bonne partie de la surface du dessin, un, drap de lin cache le sexe; le périzonium. Des plis, des courbes, de plus en plus resserrés (tout rétréci très vite), triangle du dessous de la mâchoire inférieure, (de mémoire ; il faut la faire fonctionner ! Que l’on soit à l’hôpital ou à la prison; la bibliothèque n’est pas sur le bout de la langue), triangle du nez, poils de l’intérieur des narines, couronne d’aubépine.

Il reçut une lettre d'Ange qui de sa cellule lui fit part de sa joie à ne pas pouvoir l'approcher. Il était heureux de ne pas  réussir à l’imaginer dans cet état d'épouvantail à corneilles. Il préférait cent fois garder l'image du pantin alerte de son ami professeur gesticulant de toutes ses ficelles dans l'atelier de peinture. Une maigre marionnette émaciée revêtue d’une peau de bête, genre Saint Jean-Baptiste du retable fauché par la septicémie. Il désigne péniblement du doigt le Christ sur la croix en émettant juste une bulle rouge ; «  Il faut qu’il grandisse et que moi je disparaisse! » Résigné.
«J’exècre les lits d'hôpitaux, tu ne m’y verras pas. J’abhorre l'homme horizontal, le Christ peint allongé de Holbein, long, maigre, bleu et osseux, de profil sur un grabat de pierre. Dostoïevski, en le découvrant, aurait perdu définitivement la foi. »

En revanche, Nad@ qui s'est fait passer pour un membre de la famille, a réussi à l'approcher. Elle a encapuchonné sa longue tignasse de tigresse ondulée noire sous une charlotte obligatoire, a revêtu une blouse blanche, et s'est calée contre le récalcitrant blême. La femme du gisant lui avait recommandé de « ne pas murmurer  dans le pavillon ; vivant, ça le chatouillait. Presque mort, ça devrait l'agacer de ne pas pouvoir se frotter les oreilles. »
Nad@ prit des précautions, elle murmura la fable à cinquante centimètres seulement du fragile phonographe. Elle avait appris par coeur « Les deux amis » de Jean de La Fontaine, puisqu'il était interdit d'apporter le livre dans la salle de réanimation. Elle a rempli deux fois chaque oreille. Les infirmières demandaient à ce qu'on lui en mette plein les entonnoirs, elles garantissaient qu'il auditionnait, que ça lui était indispensable pour lamper la vie.
Il n'était pas très emballé par son matériel, les médecins non plus, ils ne firent pas de pronostic, ils tentaient seulement de garder les viscères javellisés en équilibre sur le plateau de la balance, petite mort empesée.

« Les murmures à l'oreille m’ont été inutiles… Pourtant aujourd'hui, c'est un bonheur de savoir que  ma femme et Nad@ m'ont minutieusement murmuré aux oreilles d’enviables phrases immatérielles.
Puis j'eus quatre-vingt-dix ans.  
Et j’ai dégringolé au ralenti les marches vers la cinquantaine, en deux années ; ce qui me fut davantage acceptable. Actuellement il me faut les remonter à coups de pieds dans les fesses, pas facile. . , j’ai déjà vu le paysage chamboulé une fois en descendant, il est hivernal. »

***











Marlo peignit Gil& de trois quart dos ; chauve, jambes nues, les pieds couverts de poussière. Un genou plié, reposé sur un tabouret, une plante de pied en gros plan, très sale. A côté du professeur, Marlo a peint Ange en ange ; Ange plus jeune qu'il n’est. L'archange guide avec douceur la main maladroite du vieillard illettré qui commence à écrire un évangile* à la plume d’épervier. (Nad@  en Marie Madeleine free lui donna un petit coup de main pour les pieds.)

* Description contrefaite du saint Matthieu peint par Le Caravage en 1598 (toile refusée). Autrefois conservée à Berlin. Détruite.

  Lorsque le tableau fut livré à l’hôpital, il fit scandale, on crut y voir un manque de respect pour le professeur. La peinture fut blackboulée et Marlo dut recommencer puisque c'était une commande payée d'avance, une sorte d’ex-voto. La deuxième fois, il évita tout risque de refus* en se tenant strictement aux conventions admises par le règlement de l'hôpital. Il est tout de même arrivé à faire un bon tableau, car Marlo en quelques années est devenu assez bon peintre, mais son deuxième travail est moins honnête, moins sincère que le premier. Finalement l'affaire s'est plutôt bien terminée, puisque Gil& a pu garder et accrocher le premier tableau au prieuré. La deuxième toile étant acceptée, fut installée dans la chapelle ardente de l'hôpital,  qui par la suite, a été repeinte pour un autre opéré. Cette chronique montre combien peuvent être nuisibles ceux qui critiquent ou dédaignent une oeuvre d'art pour des raisons de convenances. Qu'ils soient ici poursuivis par les remords !

*La toile acceptée, peinte en 1600 par Le Caravage est à Rome, à l’église Saint Louis des Français.

***

(Néglige-t-on la Dame à l’hermine ? …qui n’est autre que Nad@ ! )

Elle est élégante. Elle a une tête d'hermine, ses cheveux sont séparés en deux, plaqués sur la tête en bonnet de bain ; (un fin capuchon élastique de cheveux qui lui modèle la tête.) Au milieu du front, seule la raie laisse deviner que ce sont bien ses cheveux arrangés en deux fines trames d’étoffe qui la recouvrent à mi-joues, jusque sous le menton, rendant ainsi ses oreilles invisibles. Se présentant ainsi, son visage est un masque clair. La délicatesse des traits est soulignée par un léger bandeau noir sur le front. Une autre petite bande brodée brune plus discrète suit la ligne des sourcils en passant par dessus le nez ; jamais vu cela ailleurs? Sa bouche imite un sourire esquissé.
Sa tête relevée, légèrement tournée, ne regarde pas Leonardo di Vinci.

*

 Effervescence et branle-bas dans la cellule d'Ange.
« Je vois son hermine, presque blanche. Qu'est-ce qu’elle fiche ici ? Il n'y aura jamais d’hermine dans ma cellule. Je préférerais voir la femme sans son hermine. Ce n'est peut-être pas une hermine, je suis certain qu'il n'y a pas la femme, mais y a-t-il une bestiole ici ? Comment serait-elle venue là, montée sur la table ? Je l'aurais vue, entendue. Elle ne peut être que fausse. Je regarde ailleurs pour rafraîchir mon regard. Toutefois lorsque que je reporte mes pupilles dans sa direction, elle me regarde à nouveau de ses petits yeux. Trop provocant. Je me lève brusquement pour la démasquer. Je ne puis garder cette illusion dans ma cellule. »

(Le lecteur peut-il oublier qu’une couture, un crevé, et quelques plis sur l'épaule de la robe de la femme forment un sexe? Supprimer cette parenthèse, si à la lecture de cette ébauche vous êtes plusieurs à garantir avoir le clitoris en tête.)

L'hermine n'était qu'un morceau de papier froissé posé sur la table, Ange avait deviné juste, il n’y avait pas le petit animal fétiche de Nad@, juste une feuille en boule, en plis ; la dernière lettre de sa concubine lue et relue.
Voir c'est reconnaître.
Relire c'est dur.


***


Dans les belles et utiles notes situées à la fin du roman de Marguerite Yourcenar, (Pourquoi ne pas mettre les notes à l'intérieur du roman ?)  elle répond à l'une de ces amies qui lui fait un reproche :
 « Xenon se laisse aller dans sa prison, lui fait remarquer Olga. C'est vrai, lui répond-t-elle, mais la raison en est simple, ce n'est pas un héros. »
Ange n'est pas un héros, mais il ne se laisse pas aller.
Il peint.
*
La représentation des drapés est un exercice périlleux en peinture. Pour les historiens de l'art le drapé désigne une grande variété d'étoffes et de tissus. Cela va des vêtements aux draps X, sans oublier le torchon qui brûle, le kleenex pollué sur la table de nuit.., bref, toute sorte d'étoffes dont le volume sera intensifié par l'éclairage.
La technique de représentation est souvent la tempera avec des rehauts blancs ou les hachures sur toile préparée grise. Lorsque les artistes italiens s'adonnent au même exercice, ça change d’allure, la technique est plus légère, plus picturale, les plis sont plus souples. Ils s'ordonnent selon une hiérarchie ; quelques grandes lignes fanfaronnent, le discret réseau de plis secondaires  obéit aux doigts et à l’oeil. Le travail du drapé n'est pas une sinécure mais un exercice franchement chiant, il est nécessaire de s'y consacrer, alors Ange entreprend des séries de drapés en cellule. Il organise sur sa table des tissus qu'il dessine, puis il les peint.
Il en brosse aussi quelques unes d'après des repros de Véronèse quand il cherche des effets de moirage sur des vêtements de soie.
« Le peintre a pour fonction de donner aux impressions rétiniennes des valeurs tactiles. » (J’sais plus d’kiesss…)
C'est ce que fait Marlo en cellule avec ses femmes/fusain sur le papier.
«Quelle vanité que le dessin qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on admire point les originaux!»  (C’éd  Blaise Pascal.)
Marlo, lui, vénére les originaux.
Ange, lui, se fiche des chiffons chiffonnés sur sa table, c’est le résultat aplati sur la toile qu’il cherche, il n’admire pas l’original ! Il s’en fout.., même.


***




(Avant dernier pli).

Un vendredi après-midi qui n’en vaut pas un autre.
Aujourd'hui, un an plus tard il doit être marqué d'une croix.
Ange effervescent et volontaire, (comme il l’est la plupart du temps qui passe vite), encourage ses ouailles à entreprendre une peinture sur un grand format : il ne lésine pas sur la surface, va pour deux grands morceaux d’affiches collées côte à côte.
L'idée du drapé convenait à tous. Le prof ne se défaisait pas facilement, il a seulement eu peur de replonger dans la peinture visqueuse et laborieuse du radeau. Ange le baratina en sortant de son chapeau une petite image souple, découpée sans précaution dans une revue d'art.
Gil& comprit instantanément qu'il était possible d'ébaucher ce travail de copie, puisqu'il ne discernait pas une ribambelle de personnages musclés plus ou moins bien fagotés grouillant sur un radeau papier glacé. Il craint le dessin, Aie aie ! (Difficile d’imaginer à quel point !) L’incompétence en dessin du quatuor fut sa dérive.
Aucun de nous trois ne pouvait reconnaître quoi que ce soit sur le document. Djief aperçut juste un pied nu, sur la pointe des orteils, qui dépassait d'un grand foutoir de drap orangé. Il l'avait collé sous le nez du prof, pour lui c’était des oeufs brouillés. Sa prothèse de presbyte déchiffra un pied d'ange ; une déduction des quelques bouts de plumes coupées en haut de l'image amputée.
 Gil& pensait, qu'à petite échelle, peindre des réseaux complexes de plis et de replis ne posait aucun problème ; ils pouvaient être peints avec minutie et précaution, ne serait-ce que pour s'entraîner à comprendre les raisons complexes qu'ont les ombres et les lumières à se pénétrer avec subtilité ou brutalité. Le grand format blanc que nous avions sous les yeux allait nous imposer un brusque changement d’échelle plus intriguant que déroutant puisque « certaines lignes de plis vont mesurer un mètre ! » 

Juste l’image du dessous de la ceinture d’un archange drapé dans un spacieux satin orange. Il était difficile de distinguer la cuisse, le genou et la jambe, cependant, en remontant le pied, d'un grand réalisme, tout devenait clair. Il faut être frappé comme un peintre baroque pour empaqueter la partie inférieure d'un ange asexué de cette façon là. Nous distinguions maintenant les cordelettes de la ceinture de sa tunique rose lie de vin décolorée. Le trop ample drap orange organisé savamment emballait tout, en superflu. . , dix fois plus de surface de brocard qu’il n'en faudrait pour lui faire une chemise de nuit ample, 1000 fois moins et, on pourrait encore lui tailler un string.
C'est la deuxième lecture de cette petite photo qui mit la puce à l'oreille de Marlo. Il se mit à prendre un ton suranné.., (il eut donc l’air con, ce qui ne lui allait pas bien) :
« Dans les plis.., dans le drapé de la tunique du séraphin, je vois.., je vois que le peintre a fait des souillures guimauves qui n’existent que pour elles-mêmes ; elles ont un rythme d’agapes, des couleurs sinusoïdales moirées, une douceur de caractère et une expressivité émouvante.., attendrissante. C'est la première fois que je perçois cela dans une peinture.., une vision ! Toutefois, c’est vrai que je n’ai sous les yeux que le dessous de la ceinture. En extase devant ces linéaments de couleurs, face à l’alanguissement de ce peintre maniériste mon émotion est si forte que je vais m’évanouir. Ah ah !!! »
Marlo avait bien vu, trop vu, mais ne voyait plus ; il était couché par terre.
Ce qui aurait pu arriver aux deux autres s’ils n’avaient pas déjà été assis (l’émotion est communicative). Nous étions donc seulement sur le cul. Ange ne pensait pas produire un tel effet avec son petit bout de papier pliss.
 Nous venions de prendre conscience-de-ce-qu'était-l'Abstraction !!! 

*

Du dix-neuvième avec Géricault et sa clique, nous atterrissions directement à la peinture de De Kooning ; il y avait de quoi perdre les pédales. Quatre vingt dix biennales de peinture venaient de s'écrouler les unes sur les autres en ensevelissant tout les autres Mouvements sous ailes : Impressionnisme, Cubisme, Surréalisme, ismes et tutti quanti.
Atterrissage direct sur les décombres de la seconde guerre mondiale. Aux États-Unis. Le choc.

*


(Dix de der).
Quand Marlo reprit conscience, complètement transformé par son passage dans la faille spatio-temporelle.., métamorphosé, comme s'il était redescendu d’un grande échelle de pompier après avoir scruté de l'autre terre côté de l’Eden Atlantique.
Exalté et déterminé, il fixa au scotch d’emballage deux larges pinceaux l'un au bout de l'autre ; cela lui faisait un manche de soixante centimètres. Il nous incita à faire de même.
« Plus question, de peindre avec de la peinture en tubes, trop pâteuse, de traînailler notre pinceau comme un chasse neige. Il faut trouver plus liquide il faut effleurer».

Plusieurs assiettes de pique-nique immaculées sont déjà sur la table, ce sont nos auréoles d’un après midi.., y déposer les noisettes colorées et fabriquer nos mélanges au fur et à mesure, est notre discret et raffiné plaisir  du vendredi.
Marlo excité et tapageur se dirige vers l'armoire et en extrait quelques pots du purgatoire. Ils expient une flaque de peinture dans chaque assiette.
« Ha ! Ha ! (Méphistophélique…de la braise sous les lunettes) Nous allons peindre avec de la couleur de supermarché,  métal liquide. Il  faut de l’eau, beaucoup d’eau pour diluer, ça va gicler, attiser la surface,  ne pas glisser dans les affres du haut de la planche savonnée, pas question de lécher les flammes et de s’éterniser dans le foyer. La mobilité est de rigueur, pas plus de quelques minutes au même endroit brûlant. Ne prenons que ce rouge et ce noir, d’ailleurs, y a rien d’autre... Si on n'a pas de vert on prend du rouge, et encore le rouge.»
Ange ne mesurait pas le degré de la transmutation qui se préparait dans l'atelier, le prof lui se doutait de ce chambardement depuis quelque temps.
 Le prof connaît Pollock et sa peinture glycérophallique, ses all over, et tout le tsoin tsoin. Son peintre préféré d'après la seconde guerre mondiale est, aujourd'hui Francis Bacon, demain ce sera un autre, Sam Francis est dans son panthéon, De Kooning son définitif Jupiter. Il boit donc du petit lait en suivant des yeux Marlo qui dresse la table.
Les yeux d’Ange qui avaient peint des dizaines de drapés petits formats, en merlans frits prennent conscience de ce que prémédite Marlo.
Lors de cette bacchanale, nous nous contentons  des fonds de pot.
Marlo zébra des grands M sur le papier ; les plis ça fait toujours des M, des Z, des N ou des Y, rien d'autre…
Dans le tissu, même posé négligemment, ces quatre lettres peuvent se retrouver mais ça n’écrit rien du tout de compréhensible ; en majuscules imprimerie, en bas de case, en cursives, en majuscules cursives, en italiques, cela dépend de la richesse de l'étoffe, de sa souplesse, (la nôtre est grège). L'oeil, repère quelques grandes lettres en surface, ça le fait rigoler, et il s'enfonce dans des lettres de tailles intermédiaires, puis il finit par fouiller les quatre variétés de lettres vermicelles des sous-ensembles complexes. (Les poils des chats gris dessinent un M au-dessus de leurs yeux, c’est le M de Marie…)

Marlo, tel Zorro devant une porte close, la baguette rendue inoffensive par le pinceau fixé à son extrémité imprime des signes sur le support : des m, des z, des n, et des y dans tous les sens, de toutes tailles, imbriqués les uns dans les autres. Pas de voyelle, y a rien à lire !
Ça donne un drôle de réseau un peu hasardeux qui suit avec élégance et scrupule le paquet présent de l'ange cadeau.., (faut pas oublier, qu’endiablé, Marlo veut peindre un  demi séraphin !) Il époussette la toile à une vitesse qui nous donne l'impression de voir vibrer Gabriel demi portion. Effet stroboscopique, tant le peintre exalté mouline sans cesse sur les mêmes traits avec un certain décalage.
Son large pinceau fait des allers-retours entre les assiettes et le mur, il passe plus de temps à touiller nerveusement les restes de soupe bigarrée qu'à les déposer sur le mur ; un seul geste vif et déterminé et, le jus est badigeonné. Ce qui nous donne cette impression de mouvement sur le papier, n'est pas tant Marlo qui nous soûle par ses déplacements, ses paroles et ses grands gestes d'épaules, mais, bien sûr, les multiples larges traits de couleurs légèrement différentes qui composent le tableau à ce moment là. Cela nous donne l'effet de ne voir que la partie inférieure d'un personnage de bandes dessinées, en gros plan, qui vibre sur son marteau piqueur. (Ça ne lui a pas plu qu'on le lui dise).
Il a préféré quand on a fait référence au « Nu descendant l'escalier » de Marcel Duchamp, et à certains tableaux des Futuristes italiens. Ces filiations l’ont rendu plus enclin à nous admettre à ses côtés ; c’est que Marlo n’accepte pas de peindre avec n'importe qui ! Dans n'importe quel cas ! C'est un capricieux qu’il faut prier.., ( en face de lui ; glorifiez le siècle Balzac ou faites semblant !) En cinq années il a tant fait d’allers et retours dans la peinture et la littérature du dix-neuvième, et avec une telle désinvolture !, que ça l’a rendu, (non pas prétentieux !,) mais impartial : aux côtés de ce spécialiste nous sommes tous des passoires trouées de la fin d'un ridicule XXe siècle sans peinture/tableau et sans roman/pavé. Lorsque nous échangeons sur la peinture ses arguments sont bétonnés. L’humble prof gobait tout le béton. Ange, lui,  mine de rien, s’instruisait aussi mais ça ne se voyait pas ; ce  n’est qu'après le transfert de son instructeur à Marseille qu’Ange s'est franchement libéré du pinceau.

*

 (Avant le transfert, la peinture n’était pas le repli stratégique d'Ange, ce n’était pas sa coquille à thé : d’ailleurs, il ne se recroqueville jamais.., c’est pas son genre, il fait face: il met un malin plaisir à ouvrir l’homo sapiens comme une huître : quand il a sous les yeux le visage de quelqu’un qui se parchemine ou qui se tend, c’est garanti sur facture qu’il est le meilleur à l’ouvrir. Il voit vite ce qu’une sale gueule est susceptible, de bredouiller, de cafouiller, donc de répandre le fiel pour se masquer : il devine  juste en lisant le parchemin… En chiromancien du faciès il lit et anticipe le mensonge.., l’entourloupette.
Puis il te le retourne comme une crêpe.., c’est kif kif ; elle n’en a pas conscience la crêpe. Ange se sert de sa clairvoyance comme d’une monnaie de singe.)

*

 C'est  bien avant le départ de Marlo qu’Ange s'est coltiné, en cellule, la trentaine de drapés petits formats au numéro six : ce n'était donc plus un novice, il commençait à se débrouiller seul, il réussissait à nous faire prendre confiance.
Pourtant, nous sommes encore restés un quart d'heure figés et circonspects, calculant et emmagasinant les données et les retombées de la démonstration picturale (au pinceau rallongé) de Marlo.
Il allait bientôt falloir fusionner, c’était maintenant indispensable; quatre Zorro sur la même porte close et sous la houlette de Marlo.
Ce qui nous faisait peur ce jour là, c'était la vitesse d'exécution, trop rapide pour nous. Nous suivions des yeux comme trois ronds de flan un jongleur qui jouait avec plus de pinceaux que nous pouvions en voir. Le résultat n'était pas encore à la hauteur ; ça se cassait encore un peu la figure, mais ça augurait dramatique.
Le présage nous tétanisait. . ,
-« Alors ? »
-« Heu ! heu !, On va s’y mettre. »
Marlo peignait dans l’état d’ivresse inverse de celui qui nous a coulés lorsque nous avions brossé le Radeau de la Méduse. Nous étions, bien sûr, absolument à jeun durant cette période ; c’est à dire étonnamment lucides, exagérément lucides, donc conscient de notre ignorance, et nous avons persisté. Du coup, on a inter(minable)ment peint avec méticulosité et application, comme des bebeus. D’avoir les trois doigts crispés, on a fini par s’engluer dans la peinture. Des doigts qui glissèrent inexorablement dans la  touffe des poils du pinceau, pour finir dans  l’épaisse pâte colorée du tableau.
Nous détestions nous surprendre ainsi sur ce papier tue-mouches, d'autant plus que nos bouches entrouvertes, (comme nos trois doigts,) se rapprochaient en béni-oui-oui de la peinture: comme pour la dévorer, et coiffer la toile anthropophage sur le poteau.
-« Le premier qui rira.., »
Aujourd'hui, un an plus tard, Marlo éclata de rire en tenant sa peinture à distance, à plus d'un mètre, il  ne la respirait même plus!

-« Ma peinture n’a pas à être flairée ! » Marlo/Rembrandt.

Il en était le  maître à la barbichette. . , au pied !
Entrez dans la danse!
Ils y entrèrent avec détermination mais timidement ; peluche courageuse dans le fond de la poche, pattes de lapin en bandoulière, se signer, grigris, toutes les simagrées que font les coureurs de demi-fond avant le départ. (Ils sont aussi tous les quatre coureurs en rond hors pair : c'est sensiblement la même histoire que celle de la peinture.., mais c’est déjà assez confus comme ça.., alors délestons..,)
 Les quatre mousquetaires moulinent comme des danseuses qui s’échauffent à la barre devant le prétoire. Puis, il se met à  pleuvoir des hallebardes de camaïeux sur le mur. . , beaucoup de coulures. . , souvent soufflées par le coup de balai du suivant. Les mille couches finissent par couvrir la grande  feuille de papier.
    Bien malin celui qui est maintenant capable de dire à quoi ça ressemble ce que nous peignions ; trop près pour reconnaître la moitié inférieure de la tunique orange de l’Ange déçu :
-« …sa robe est d’venue moulticolor … »
 De plus, nous n’avons pas peint le magnifique  pied  nu  en extension de l’Ange, (c’est le pied qui doit faire l’ange). Oubli, lapsus, ou cadeau pour Nad@ qui guette dehors ?
La feuille est descendue du mur, séchée roulée, élastiques, sortie, déposée en grande pompe à l'experte Nad@ pour la pose d’une rustine : le pied.

*

Il y eut d’autres séances véhémentes de grands drapés. Toutes plus gestuelles les unes que les autres : poignets, épaules et hanches à se les luxer.
Comme l’archer vise avec soin son but, tend son arc et libère vivement la flèche, l’écrivain du pli doit concentrer son attention sur les formes, diriger le pinceau avec force et décision et, sûr de lui, tracer les lettres S,M,N,Z.., (et leur cousines germaines, s, m, n, z).
Des pots entamés de peinture acrylique bien juteuse jonchent les tables rassemblées et protégées.
Les règles de travail se modifiaient régulièrement : une des dernières fut l’obligation de peindre avec toutes sortes de couleurs cassées, rompues et finalement noyées par les superpositions de couleurs transparentes, jusqu’à ce que la lumière passe délicatement sur les grandes surfaces et trébuche dans le creux d’un S. (Un  effet de plis profonds ressemble à une suite de S majuscules couchés.)
La dernière règle acceptée par le quatuor fut l’ordre hiérarchique du passage des peintres sur la toile : d’après quels critères : la confiance ? Les compétences plus ou moins admises ? La politesse ? L’allégeance ?
C’est sans doute le comportement des quatre chats du prieuré devant la grande assiettée de croquettes qui donne instinctivement la réponse irrationnelle la plus claire à cette question : l’âge, le sexe.
Nous n’avions pas à combiner les deux paramètres en ce qui nous concernait.  
Notre atelier de fortune exigu prenait l’allure ouvertement copiée de l’atelier bordélique de Bacon à Londres : récemment reconstitué en fac-similé bordélique à Dublin.
- « notre atelier sera refait à Corte. . ,»
- « Non ? »
- « Si ! »
- « Non… »
Deux heures plus tard, tout le capharnaüm a disparu, fallait faire place nette, ça allait être la messe de fortune pour la sœur, faut lever le camp !

*

Nos plis peints avec ou sans pied, se sont retrouvés sur les cimaises de quelques petits lieux choisis mais surtout sur les murs du prieuré. Nos plis bigarrés ont voyagé roulés comme des couvertures de survie, déroulés comme des trophées de chasse ne passionnant malheureusement que les chasseurs et l’équipe des traqueurs brailleurs présents lors de la battue :
-«On était fiers de nos tableaux de chasse ! »
(Montrez plus de dix photographies de vos progénitures à quelqu’un d’autre qu’à un membre de la famille proche, vous allez le soûler très vite, a fortiori s’il n’y a même pas d’arrières plans pour le distraire !)
-« Oh, il a les mêmes oreilles que son père. . , il y a de beaux plis dans l’oreille.., complètement abstrait. »
- « Et.., une oreille, sur grande toile, une ! Deux trois. »
La feuille de chou n’a pas donné grand chose en peinture, mais alors nos plis, ils ont fait causer:
« J’y connais rien, j’vois pas c’qui ya sur la feuille, mais c’est beau de loin. »
« Vous zavez pas fini votre peinture, hein ? C’est pas fini, hein ?»
Bref, nos toiles abstraites de plis multicolores ont du emmerder bien des amateurs de peinture ; pris en otage !
-« dites q’c’est beau ! »
Contrariés, nous avons fini par immoler nos chefs-d’œuvre sur l’autel : nous nous en sommes servis comme nappes de protection (des nappes de cérémonies qui représentent des plis peints ! C’était drôle !) Sacrifiées avec un différé d’un mois, le temps de bien mémoriser les détails, d’en tirer les enseignements, d’en garder le souvenir définitif, rien que pour nous, sans amertume, sans haine pour les béotiens. Après tout, nous nous faisions plaisir. Nous désirions progresser, et c’était le cas à chaque fois, on l’a toujours cru, et c’était vrai.
Nous sacrifions nos toiles pour ne pas laisser  la signature visible de nos errances, de nos maladresses. Seul comptait le plaisir égoïste de progresser et de guerroyer ensemble contre un ennemi commun que nous croyions chacun garder intime, mais finalement, sans doute le même démon, celui du simulacre, de l’illusion et de la durée.
Nous n’en parlions jamais, ça résistait en silence.
Ça aurait pu s’écouler ainsi, un hors-d’œuvre transformant le précédent en vulgaire nappe de banquet, puis un autre, un par semaine. Le dernier n’ayant plus les jalons pour se repérer, aucune couche ne s’empile, du coup, rien ne se délite, juste le présent qui flotte en surface.



***


(Mais ça ne s’est pas fini ainsi.)

C’est Djief qui créa l’événement.
(Il ne nous avait pas habitué à cela depuis l’évènement qui l’a écroué ici. Ange sa nounou et nous étions habitués au suçotement de son pinceau, cela l’apaisait. Il coiffait son petit mètre carré de fond  en une séance, ça plissait et replissait.)

Pour la  ?ième fois, Ange scotche une grande feuille sur le mur, Djief est avec lui sans qu’il le lui ait demandé, ça c’était déjà un dérèglement. Peut-être avions nous fini par hériter de la nonchalance des peintres de fond, toujours est-il que ce jour là, c’est Djief qui a préparé le premier sa palette.
- « Ouais mais, ça n’a jamais été une course de vitesse pour se préparer ! »
 Nous sommes plutôt du genre à  nécessiter une demi-heure d’échauffement ; feuilleter un bouquin d’art, parler du dernier livre lu, dernières nouvelles des peintres de dehors … Nad@ et quelques autres qui suivent épisodiquement  la langueur des mois de maturation de notre peinture.
-« Il n’y a pas le feu au support ! »
Ça se met en route comme un radeau.
-« C’est quoi qui prépare, Djief ? »
C’est un mélange qu’il prépare : du produit pour nettoyer les vitres, il y en a un flacon entier dans l’armoire, avec un vieux liant acrylique blanc  trop épais. Il mélange tout cela dans une verrine vide ; il a abandonné les assiettes blanches de pique-nique.
Il a  sûrement inversé un grain de sable : après des années de silence c’est sans doute le désordre des choses… Pas très malintentionnée sa mixture. Il cherche encore dans l’armoire. Il y trouve, de l’huile de lin, un reste visqueux.., de l’essence de térébenthine qui époussette les nasaux, et il mixe le tout sous le regard furtif des autres. . . La conversation en aparté à trois devient inévitablement incohérente mais elle se poursuit musicalement en surveillant leur quatrième qui furète. Ils restent méfiants, (tous sens dehors,) prêts à intervenir, (ça ne se perçoit pas.)
…Fouine de l’argile sèche qu’il transforme en barbotine et, l’adjoint à sa mixture. Cela aurait été judicieux de le questionner sur son intention, son invention ?.., s’il avait encore pu parler, mais fallait s’contenter d’observer Djief.
Et le voici qui badigeonne au large pinceau la feuille fixée sur le mur. Il la couvre entièrement. Son énergie de peintre apathique leur en bouchait une surface à eux aussi. Les opérations n’ont pas pris plus de vingt minutes.
Puis, il extrait de sa poche une magnifique reproduction photographique d’un « chapeau de gendarme » (du XIXè). Ange sait que ça s’appelle comme cela le grandiose plissement de terrain qu’il examine, qui y ressemble effectivement un peu.
Genre signe oméga  Ω .
-« Waouh ! Quel pli ! »
Une montagne coupée longitudinalement.
Aucun des trois ne savait qu’un truc de ce genre existait vraiment à l’air libre jurassik.
La lente force du temps, sans presse livre  ┘└
En retrait de quatre mètres environ, il installe la photographie face à la surface dégueulasse et dégoulinante qu’il vient d’enduire, juste à l’intersection des diagonales. Il la scotche sur un dossier de chaises emboîtées, le plus haut ; chapeau de gendarme face à l’enduit. Ca forme une pyramide invisible. (Marlo en a fait plusieurs schémas qui n’aident pas à comprendre.)
 Ce que Djief installe, semble confusément cohérent.
 Puis, il ferme les rideaux de la salle pour obtenir une obscurité de salle de cinéma ( ? ). (Ils n’ont pas beaucoup peint cet après midi là, de plus ils avaient tari les conversations qui s’épuisent vite ici, plus vite que la peinture.)
Puis, il s’assoit et attend dans la pénombre. Comme nous.., avec nous.., en retrait ; trois paires d’yeux de chats incrédules rivés sur l’enduit qui dégouline, (plus qu’il ne sèche,) le verso de la photo face au mur.
Silence on ne tourne rien !
Il n’est rien arrivé.
Ils avaient bien compris que  le grand Djief espérait inventer la peinture automatique en miroir; une couche de gélatine, une petite image à copier, un temps de pause assez prolongé et hop transfert ? Si lui était un peu fêlé du fond, nous, nous avions toute notre raison scientifique à la surface ; on a bien vu qu’il n’y avait pas de source de lumière !.., faut pas pousser le bouchon, on n’y a pas cru. Il avait bien le principe, il aurait eu encore bien des essais à faire, mais cette fois avec un rai de lumière. Ça n’aurait pas suffit non plus, il aurait encore manqué la poudre de perlimpinpin.., heureusement pour nous il ne les a pas faits ses essais.
Djief ne nous a pas pipé mot de ses attentes, on s’y attendait, ça ne lui avait pas fait recouvrer la parole. Il croyait peut être nous couper l’herbe sous les pieds, nous prouver que notre quête de peintre était une montagne sans sommet. Ça n’a pas marché !
C’est plutôt lui qui en avait ras le pinceau de badigeonner son petit mètre carré ! Ils ont pensé que c’était cela la raison principale qui l’avait poussé en  pseudo-scientifique à manigancer un attrape nigaud à peindre lyophilisé.
Marlo a fait semblant ou il a cru un instant, qu’il pourrait améliorer l’expérimentation en interposant des pigments de couleurs pures en petite quantité à la pointe de la pyramide virtuelle obscure, entre l’image à piéger et le mur peintographe, mais il ne réussissait pas à localiser le petit œil-de-bœuf de l’intersection spectrale.., entêtement inutile, les poudres colorées n’auraient pas tenu toutes seules en suspension ! il a essayé plusieurs fois en balayant l’image avec la main… Marlo n’a pas insisté, il n’allait pas scier la branche sur laquelle tout le monde était assis ; la branche c’est l’équilibre, c'est la peinture, la peinture non coupée, la vraie de vraie.
Personne n’avait envie de croire au rêve de Djief. C’était son rêve mais vraiment pas le nôtre, ça ne pouvait même pas frôler notre imagination.
Djief cherchait bien trop alambiqué. Son truc n’était qu’un succédané de la caméra obscura, c’est sûr… Et ce n’est pas parce qu’il se claquemure dans le silence qu’il est fêlé. Sa question était recevable ; comment transformer la mixture en pixel, sans l’électronique, sans optique, sans maille à partir.. ? Mais ça fait beaucoup de défaillance. Marre de cette histoire..,
.., qui n’est pas un événement.
Un non événement.
« Inventer la peinture  vite liquidée par l’opération du Saint Esprit, et ma tranquillité.., sera peinarde, » se frappa encore Djief plusieurs fois par rebond dans sa tête billard ? Il n'est pas peintre dans la peau. Il est seulement entretenu par l’équipe. Il ne suit l’équipe que parce qu'il est planté là pour neuf ans. C'est juste un peintre du dimanche qui aimerait que tous les jours soient vendredi pour rester repiqué ici. Ici, les peintres s’emmerdent le jour du seigneur.
Ce flop n’est pas l’événement de Djief. Ce bide en est juste le prélude qui permet de comprendre la suite.


*

« La création d'une oeuvre équivaut à la création d'un monde. »  
 Kandinsky le Grand.
C'est le grand Kandinsky de 1913 qui devint notre phare d’Alexandrie. Pas vraiment le petit k. d’avant 10, (il se cherche des poux,) mais pas du tout l’éminent K des années 30/40, (il a un compas dans l’œil).
Ce sont les improvisations à l'huile sur grand format qui subjuguèrent le groupe. Munich.
 …Cependant aucune reproduction ne permet de se rendre compte de la fulgurance de son pinceau, de la générosité de sa pâte, des pénétrations complexes des couleurs, de l’affrontement des amas.
C’est frustrant de savoir qu’une repro, aussi tramée soit-elle, n’a pas d’épaisseur ! C’est dépossédant de penser que ce que l’on a sous les yeux n’est pas une pipe.
Tout cela Gil& nous l’a fait comprendre par touches successives, il a tenté de nous faire percevoir l’abîme.
Il n'a jamais trop insisté sur l’importance de l’original.., par décence. Ce jour là, par exemple, il venait d'en renifler un la veille à Bâle à la fondation Beyeler ; il en attrape souvent c’est son métier.., pendant que les gardiens ont le dos tourné. Il grattouille une bouffissure en regrettant de ne pas pouvoir en prélever un échantillon.
 A l’atelier, il nous impose de n’examiner que notre propre peinture, (la repro glacée n’est qu’une chauve souris clouée à l’écart sur la porte de grange.) C’est la toile que nous avons sous les yeux qui est l’original, celle que nous pouvons tâter sans se faire engueuler.
Notre peinture n'a pas la qualité d'une improvisation de Kandinsky (130,7 X 130,7), c'est certain, (quoique ? Quelques fois..,) mais elle en présente la facture et le grain. La repro chauve souris (12,6 X 11,2) permet de repérer les audaces de la composition, les subtilités des mélanges de la couleur, cependant, réduite à l'échelle d’une photographie de magazine les linéaments deviennent homogènes et lisses.., comme si la référence du grand K. avait été peinte à l'aérographe.
Ingres aimait lécher sa peinture, Monet non ! le Kandinsky des années 10, encore moins ! Ce sévère K. aux lorgnons affiche souvent sur les photos une allure de psychanalyste sévère à ne pas faire des tâches de Rorschach sur sa redingote. Et pourtant, sa peinture est relâchée, colorée, il est difficile de l’imaginer en train de peindre habillé de noir et en blouse blanche.
La plupart des peintres qui ont succédé à l’énigmatique K. ont laissé la marque visible de leur pinceau sur la toile*. Lui est le premier cas à ne plus se référer aux paysages, aux objets, aux femmes nues.., du balai ; seulement la pâte colorée comme « remède universel pour lutter contre son époque malade. » Ça ne s’est pas passé comme il l’aurait voulu…

* Picasso en transportant une de ses toiles fraîches a laissé ses empreintes de doigts sur une hanche.

A l’atelier, en bons sangliers, nous suivons la peinture fraîche à la trace. Les reproductions ne nous permettent pas vraiment de nous repérer, mais tout de même, nous comprenons maintenant si bien une repro sur papier, qu’elle finit par en dire plus long qu'un original de musée examiné par une harde de visiteurs tenus à distance du chef-d’œuvre.
Nous adorons ne voir que les grands coups de pinceaux sur l’omelette énigmatique de notre peinture. Tollé quand le sujet devient incompréhensible, pour nous, pour tous les autres. La réalité sur nos tableaux finit par devenir inutile, voire par choquer. Puis, plus personne ne reconnut des gros plans d'étoffe plissée dans nos mêlées.

*
Ensuite, nous accostâmes les  Expressionnistes Abstraits  tendance Willem De Kooning des années 50, qui lui, pratiqua toujours une peinture figurative, mais de manière violente, du coup, difficilement identifiable, c'est cela qui nous plaisait. Son agressivité sans frein dans l'attaque de la toile était bien visible même sur une petite reproduction en papier. Un sujet préoccupa Willem De K. pendant vingt ans : la représentation d'une femme assise en L . Il s'y épuisa comme par défi. Il finit par arracher la toile de son support et s'en servit comme serpillière.
«…Beaucoup de critiques ont attaqué les Women, j'aurais dû être abstrait, je ne me sens pas du tout dans la peau d'un artiste abstrait. » De mémoire, comme souvent.
De l'autre côté de l'Atlantique, sur ses toiles à la dérive, Francis Bacon donne des coups de poing pourpre, violet et indigo. Il essaye de rendre le luisant de la couleur qui vient de l'intérieur de la bouche, en retroussant les lèvres et les joues, pour désigner les gencives. « …Être capable de peindre l’intérieur de la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil.»
« Bacon espérait faire un jour la meilleure peinture du cri humain, mais il n'en a pas été capable. » Ange.
« Nous non plus, mais nous n'avons pas cherché à le faire!» Ange et Marlo et Gil&.

*
Un long serpentin plus tard.
( Ya pas à savoir combien de temps il s’est écoulé depuis nos débuts en peinture et en écriture ; il reste du sable dans le haut de la montre. Beaucoup. Trop. Tout doit disparaître : écrire et peindre pour égrener. Pas chercher à compter. Ne pas installer un compteur kilométrique en bas de chaque page.)
 Djief fixe, s’agite, prépare quatre ou cinq assiettes de soupe de camaïeux.
Repeindre pour nous étonner. Ça le reprend.
Il tient un large et long pinceau rallongé au scotch à chaque main ; suivant un axe de symétrie vertical, il exécute une chorégraphie à deux mains.
Il  dépose,
 de part et d’autre
 une vingtaine de lignes dans des tons plutôt rosés violacés.
Intrigués par tant de fougue.
Djief instaurait une composition équilibrée,
contrebalancée,
genre isocéphalie, très prisée à la renaissance.
Lui n'optait pas pour le triangle isocèle
 mais pour le Y,
en majuscule calligraphique souple, et à l'envers.
Un Y inversé en plein milieu du mur, sur presque toute la hauteur soit, plus de deux mètres.
Un M majuscule secondaire, resserré dans sa largeur, inscrit dans le Y.
Pas d'autres lettres.
Ce qu'il entreprend est dans nos cordes. Que ce soit Djief qui entreprenne cela seul est inconcevable et surtout très intrigant.
Cerveau gauche frère siamois du cerveau droit.
Ils vont bien.
Ils tracent des courbes, des accolades souples, plus ou moins ondulées.
On se colle sur lui sans réfléchir et sans hésiter plus longtemps.
« Je m’installe derrière Marlo, j’ai le souffle de Gil& sur les oreilles » ; Djief recharge sa palette. Six mains écartelées brandissent chacune un long pinceau.
Un grand papillon ouvert qui peint.
… ! …

Une promiscuité sur un axe, nuque, dos, fesses, ré, mi.
Le quatuor se fait la voix, essais cacophoniques.
Silence.
Puis, genre Beethoven, combinaisons courtes, reprises, symbiose. De la compréhension mutuelle, moins de mauvaises couches, de moins en moins. Des dissonances de couleurs tout de même, dissonances audacieuses, plus ou moins acceptées. C'est la première fois que le groupe s'écoute si bien peindre. Le résultat est à la hauteur, d'une unité surprenante, qui ne laisse pas transparaître qu'il a été peint à huit mains, dextra sinistra simultanément. La même aisance aux accolades, aux courbes, aux crochets. Un seul être à huit bras. Des tons roses et violacés se mixent avec finesse  et délicatesse ; ça donne de la soie de qualité, des passages de lumière calculés, quelques replis profonds, des surfaces de repos.
Le carré de papier blanc de deux mètres de côté a disparu avec le mur pour ne laisser voir qu'une grande mandorle violacée, sorte d'amande verticale ( ) c’est le Christ qui habituellement s’inscrit dans une aura de  la sorte. Ici point de Christ prétentieux en lévitation, juste un long pli sombre et profond, chapeauté par un repli.
Un croquis serait inutile, on a déjà compris...
L'unité des tons adoptée et imposée par Djief, nous a permis d’être en parfaite harmonie. Nous n'étions pas habitués à la symétrie. Y inversé, agréable à peindre. Presque trop facile.., pourtant le résultat fut plus troublant qu’à l’accoutumée.
Vers 17 h, le travail inachevé, reculés à reculons pour mieux le voir, les instruments déposés. Immobiles. Scrutateurs. Auto satisfaits.

Djief marmonna une phrase en corse :

«  Fighjuleti u passaggiu di l’umanitā. »

(Isoler cette phrase, c'est la seule qu'il ait prononcée depuis longtemps.)
( )
Djief se dirigea vers la mandorle et, sans ralentir devant la peinture, il pénétra à l’intérieur.
Eberlués, nous le suivîmes des yeux:
« J’emprunte le sentier sinueux des rivières et des montagnes.»  (Ange, peux-tu traduire cette phrase en corse, s.v.p. de façon à ce que personne ne la comprenne.)
Son image rétrécissait au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans la fente, puis, elle disparut de notre vue à cause de l'obscurité. Elle avait bien diminué !
Comme des lapins blancs, nous étions pris dans les lacets, aussi braconniers que les spectateurs lambda qui se sont pris dans nos grands formats. Nous n'avions pas vu ce que présentait notre peinture gestuelle.., pas si intellectuelle qu’on le croyait !
 -« Un sexe de femmes entrouvert. Waouh ! »  Marlo.

Seul Djief savait ce qu'il voyait. Lorsqu'il se dirigea vers la sortie, il se débarrassa d'un petit bout de papier qu'il tenait secrètement dans sa main depuis le début de la séance. C'était une de nos nouvelles règles, seul le chef d'orchestre devait connaître la partition. On a beau avoir de la mémoire, faut un modèle. Il avait découpé l’épaule de la femme à l’hermine.
Djief, plus fort que Courbet avec son tableau : « L’origine du monde» 1866 !
Nous n'avons jamais revu Djief.
Tant mieux pour lui.

-« Ange trouve-moi une autre sortie, je ne (re)passerai pas par (là) ! On n'y passe pas deux fois dans sa vie » Marlo.
Le prof, qui lui, sortait facilement, ne dit donc rien.
Ange qui n’avait, ce jour-là, aucune raison de sortir ne chercha pas ; tant, sacrebleu et pourpre, que la peinture était belle !
Les autres, ils étaient sept ou huit, les têtes dans leur papier peint, n'y virent que du feu*…
*Le premier dessin serait dû à une belle jeune femme grecque nue qui, se tenant près de l’âtre, aurait pris un morceau de charbon de bois pour fixer sur le mur blanc le contour de son fiancé nu qui partait à la guerre rouge.
… n'y virent que du feu. Un seul élève n'avait pas la tête dans le guidon, Matthieu. Il avait vu Djief disparaître dans la peinture. Il venait de lever la tête pour lire péniblement l’heure sur sa montre de poignet.

*

 « Tu peux venir dessiner et peindre avec nous, mais tu dois savoir qu’ici on ne peint pas comme des babouins ! » C'est comme cela, quelques mois auparavant, que T… présenta l'atelier de peinture à son copain Matthieu, un grand gaillard voûté et boutonneux qui se penchait pour l'écouter dans la bouche.
-« Ouais, j'aime bien dessiner, j’aime bien dessiner des camions, des camions de pompiers. . , et des camions de bestiaux. »
-« Il peut venir la semaine prochaine ? Il aime dessiner. » exigea T…
Marlo, qui pêchait le fil de la conversation sans y toucher. . , ça ne lui disait qui rien qui vaille, ce jour là, il se tint coi à contre courant.
La semaine suivante quand ce grand dégingandé à la voix graveleuse, qui ne fait pas de la dentelle dans sa cellule, passe dans l'encadrement de la porte de la salle d'arts plastiques en obscurcissant* légèrement la petite salle, Marlo en rapace, de l’intérieur, (donc dans l’autre sens,) la dégaine renfrognée, rentre dans le prof .
« C'est lui ou moi ! Si ce type entre, moi je sors,» sachant très bien que s'il avait fallu faire un choix c’eut été l’aigle que le professeur aurait choisi, il joue avec ce déséquilibre.
L’aigle;  -« La présence de ce type ici est une honte à mon incarcération. Il ne relève pas du même type d'enfermement que moi* !»
Le dompteur; aussi adroit qu’un prof qui sélectionne ses fauves, (y en a qui échouent!), fait reculer obligeamment la proie/leurre, ce trop grand garçon voûté.., qui se diaphragme*.
* « Plus* de lumière… » Goethe agonisant.
* Plusse ; le contraire de moins.
*c’est la seule fois que Marlo a perdu son humanité.

Matthieu porte au poignet une montre en carton, les aiguilles indiquent l’heure au stylo bille ; toujours la même heure, l'heure des horlogers, 10 h 10.
Par la suite dans l'atelier, il s'est rouvert un petit diaphragme, (1,8 pas plus). Il a su se  faufiler comme un petit écorniflé sans craindre le rapace qui n’était pas son prédateur.


*
La proximité est la pire courtisane des choses dans une maison close comme celle-ci.
-«Qu'est-ce que la solitude ? »
-«C'est la promiscuité!» répond aussi sec Marlo au sondeur météore, qui n’avait pas envisagé la solitude sous cet angle.., un curieux qui croyait poser une question embarrassante !

*

Le prof apprenait des trucs compliqués en dessin grâce à Matthieu. Avec lui, il pénétra les arcanes des différents types de représentation de l'espace, qui n’étaient plus dans sa circonférence depuis sa petite enfance.., c’était donc bien plus que de la croûte de tarte à avaler !  Lorsque Matthieu crayonnait un camion d'après une planche du dictionnaire, il lui ouvrait la  sous-ventrière, il le sur développait ; comme s'il était né avec un système à désenvelopper les camions incorporé dans sa demi sphère. Les monstres du macadam se faisaient désentraver plusieurs fois à l’ouvre-boîte, boîtes dangereuses. Il ne les surexposait pas avec beaucoup de conformité, mais il levait les voiles sur tout, larguait certaines amarres, jetait l’encre sur des trucs inconcevables.
Dubuffet, prospecteur de trésors de galions, ne rencontra  que des oiseaux de l’envergure de notre gaillard. Matthieu est un des siens sur la nef*. Il aurait pu représenter tous les systèmes du corps humain en un seul dessein, une utopie de Gil& ; digestif, sanguin, respiratoire, et lymphatique.., comme un buffet ouvert avec tous les détails du garde manger, pas de texte qui expie; une chatte, une meule de foin n'y retrouverait pas ses petits. Il n’a pas essayé l’anatomie… Dommage !

* …des fous de Sebastian Brandt, illustrée par Jérôme Bosch…

Que des bétaillères et des camions citernes !
Puisqu’il inversait ce qu'il ne voyait pas conformément, ça donnait un bordel embrouillé inversé dans un miroir sans tain : la cabine était là où on ne l’attendait plus. Il convertissait même le haut en bas. On aurait dit un camion de pompiers après un grand incendie. Non que le bahut ait crâmé, il demeure rouge vif. ( ? ) …Ça suppose d’imaginer quelques pompiers, qui à hue, se seraient acharnés à dévider les tuyaux, et d’autres à dia, qui se seraient éreintés à mettre le  lourd moteur en morceaux, tant qu'à la fin, s’il avait fallu, ils leur auraient été impossible de remettre en ordre les différentes tragédies de cet  inventaire capharnaümique …
Pour finir, Matthieu scotcha bout à bout deux cartons pour fixer une remorque à son exhibition de robinetterie. Il placardera le diptyque dans sa cellule en face de son camion lit de pompiers assez vrai.., rétros, klaxons. Le feu, c'est sa vie, dans une autre vie ça sera.., l’anatomie.  Regrets. C’était un pinailleur de première classe, on l’a bien compris, qui se suspendait aux moindres recréations, que le prof lui-même ne démêlait pas. Il pouvait changer d'échelle de manière incompréhensible.., Ah la la, fort, trop fort pour Gil&. !
Sa calculatrice était en carton.., Il ronchonnait tout le temps, pas très fort, mais trop fort pour Marlo !

Marlo a fini par le tolérer dans l'atelier.
-« Bon ! Mais pas avec nous en peinture… »
Le problème ne s’est jamais posé pour la peinture. Il ne nous a jamais vus peindre, nous étions pourtant en face de lui sur le grand mur. Il n'osait pas regarder les artistes au travail, il craignait trop Marlo, qui est toujours resté réglo avec lui. Il l’aurait même défendu contre ses prédateurs, il en avait. Matthieu n’est qu’un leurre pour Marlo. Ange tempère. Gil&. collabore avec tous les élèves, il est payé pour ça.
Djief est ailleurs, Matthieu l’a vu réduire comme ses camions, il vient de regarder sa montre, toujours à 10 h 10 ;  les aiguilles comme la partie supérieure d’un Y définitif.
Les trois peintres de repli, sans champagne, lèvent leurs coupes, les Y Y Y vides levés, pour le départ d’un des leurs dans le grand  « i »  grec :
«  A ta santé  Djief ! »


Le cristal des verres entrechoqués résonne sous la coupole.
Sous la grande coupole de la croisée du transept de la cathédrale, quatre pendentifs triangulaires  V V V V   raccordent la demi sphère aux quatre murs piliers de la base carrée. Le Christ en majesté se la joue plaqué sous le sommet du ballon, et les quatre évangélistes, fiers comme des gros bras, trônent assis sur leur écrits, respectivement collés sur leur accroche cœur triangulaire;
Saint-Marc et son lion,
Saint-Jean et l’aigle,
Saint Luc et le taureau,
Saint Matthieu et l’ange.
Donc, Matthieu l’analphabète* (et ses camions) cohabite avec Ange l’anachorète (et sa peinture).
 Oh ! là !, ici, pour ce cadavre écrit, imprimé sous vos yeux, papier blanc ou écran luminescent déroulant, s'est Matthieu qui guide Ange. Pas facile à admettre ! Ca s’est fait sans qu’ils soient de mèche. L'un et l'autre n'auraient pas aimé le savoir. Matthieu n'en aurait pas eu l'étincelle. Ange aurait préféré être briqué par Gil&…
Donc ; quand l'ordinateur portable entrouvert, (bénitier de lagon aux bi-lèvres émeraude,) génère soigneusement des lignes de mots gris sur l’écran plasma tapotés par les doigts inhabiles d’Ange*, c'est Matthieu qui conduit l'engin. Matthieu, qui est toujours à 10 h 10, c’est encore lui qui a fait traverser Djief, lui qui éteindra le feu de la rampe quand tout le monde sera sorti du plateau… Il faut faire confiance à celui qui regarde le doigt du maître qui montre la lune.

* "Dans le tableau du Caravage à Rome, c'est l'ange qui dicte le texte et guide la main de saint Matthieu illettré." (Le rapprochement des situations est fait au risque de perdre le lecteur au clair de lune.)


Clés.
Le taureau exhala de bien belles phrases sur le clavier de Djief qui par contumace n’est autre que St Luc !
Lorsque la disquette de l’ordi passe entre les mains de Marlo (St Jean) c'est l’aigle Corse qui punit les fautes de syntaxe, celui là même qui apparaît chez Victor Hugo dans « Les châtiments » ; « Il neigeait. . . Pour la première fois l’aigle baissait la tête. ». . , métaphore de Napoléon.
Gil& (St Marc) se battit comme un lion pour étendre sur le fil les mots essorés des quatre lessiveuses de phrases. . , et y mettre de l'ordre.
L’Aigle superviseur scruta les incohérences du texte et ne se lassa  pas d’annoter, il a fallu lui clouer le bec, il aurait pris le dessus. Il a beaucoup raccourci les chroniques d'ange;
Ange est un conteur.
Matthieu ne compte pas ; 0*
*( zéro)

Ange compte sur le ring les réactions des premiers lecteurs de la disquette (qui n’en sont pas les rédacteurs.) 
A gauche, contre : « Vous écrivez pour vous. Vous ne pensez pas à celui qui n’a pas suivi l’escalade de votre amitié peinturlurée et alambiquée, que vous compliquez à l’envi !  Un travail d’égoïste qui ne me concerne pas. Ca vous fera un bon pavé à  rire à votre sortie, moi pas. »
A droite, pour : « Il y a des moments de littérature…mais j’ignore de laquelle, et de qui ? Il y des choses que je ne pige ni à la première ni à la deuxième lecture*, il y a des écrivains sophistiqués : par exemple Quignard, le dernier, page 49 : «L’écrivain est le langage qui se dévore lui-même dans l’homme dévoré par le mentir qui en fait le noyau. »  C’est le brassage des textes collés,  interpénétrés et enrichis les uns par les autres qui  fait la richesse de votre pavé baroque, bravo!»

*Relisez ! « Réécoutez ! » Répondait Beethoven à ceux qui lui demandaient ce qu’il avait voulu dire.

Il est  très agréable de savoir que certains lecteurs cobayes soupçonnent qu'il n'y ait de l'intérieur ou de l’extérieur de la geôle qu'une seule main qui frappe et qui dépêche ces replis, (ce texte !) ; oui et non, entendu que comme en peinture, d'année en année, les coups de pinceaux donnés par les différentes mains sur la toile sont devenus indiscernables; union en peinture, cohésion en écriture, ils y sont parvenus !
Le parfait cadavre exquis c'est la disquette !
Le délit parfait.
La disquette grille-pain qui passe d’un ordinateur à l’autre. Elle ne laisse aucune rature, aucune écriture cursive, rien de graphologique, rien que l'on puisse attribuer et reprocher à l’un ou à l'autre, toujours la même police : du Times New Roman généré sans hésitation, sans état d'âme, anonyme, mais sacrément lisible !


***

On peut promptement régler le compte à Marlo : il a tant gonflé et exagéré les formes rebondies de ses femmes de papier, il les a tant gonflées qu'il a fini, comme le Baron de Munchaüsen, aéroporté par la grappe de fesses et  de seins d'Aphrodite*.
*Architecture : la première coupole aurait été moulée sur le sein* d'Aphrodite.
*sein : sinus.
Evidemment que Gil& est victime du « syndrome de Stockholm » ! ( Sur l’aéroport, d’heures en heures, tous les passagers pris en otages, se sont mis à prendre parti pour les terroristes et à maudire les décisions des autorités territoriales.) Gil&, passager clandestin est dans la même situation, il ne souhaite qu’une chose : voir se volatiliser les peintres.

***


L’indispensable chef-d’œuvre !

(Dernière station.)
Un jour d'été 2002, sept jeunes peintres désœuvrés en mal de peinture se rassemblent dans un grand atelier isolé.
C'est parce qu'ils ont bu le débit du roman par l’Internet qu'ils ont eu envie de s’y mettre : la peinture et la personnalité d’Ange Confusiani sont captivantes : un type qui  donne des leçons à leur professeur honoris causa ! Un capitaine qui barre la peinture comme un brick ! Un gaillard d’avant eux qui vit comme un poisson dans l’eau dans une enceinte fortifiée et qui y trouve matière à peindre !

Le professeur leur a déroulé le tapis rouge : les rouleaux de peinture réalisés à l'intérieur de la prison. un Bacchus bon enfant, un ciel rougeoyant, des chevaux écumants, cavaliers sévères, des drapés colorés, plis et des replis bigarrés, des mètres carrés de labeur, des kilos superflus de peinture.
Ils ont ouvert des gros pots, fichu un sacré bordel dans le grand atelier, cassé la croûte, se sont coupé les cheveux, refait un peu le monde. . , mais surtout, ils ont peint. Quand on peint on ne cause pas, en tricotant c’est possible. Ils ne peuvent pas faire deux choses à la fois, doivent se concentrer sur leur mètre carré.
On ne sait pas toujours quoi peindre ; à sept, pas facile, c'est presque un orchestre à éclairer.
Ce jour-là on a décidé d'aller voir dans la tête de Nico pour savoir s'il n'y avait pas laissé quelque chose à peindre. Il a souvent des trucs qui traînent, il y a l'embarras du choix quand on y jette un oeil. Pourquoi sa tête et pas celle d'un autre ? Pour lui être agréable, il n'allait pas merveilleusement ce jour-là. Pas très grave, juste des démêlés sentimentaux, il se prenait les pieds dans les nœuds en débutant.
 Nico a une grosse tête pleine de bazar et de trucs qu'il a lus et vus dans les livres de quand il était petit. Il reste de la place dans sa tête, mais pas trop, quelquefois il ne sait plus où ranger le nouveau qui arrive, ça reste devant le portail, et cela l’empêche d'aller voir ce qu'il y a derrière.
Dans son intelligence c'est comme une meule de gruyère mais en plus grand, vraiment plus grand, à une autre échelle. C'est plutôt des galeries qu’il a dans sa tête. Son cerveau c'est plutôt une architecture compliquée, genre basilique, avec des voûtes en berceau partout, des culs de four, des arcs-boutant, de la pierre taillée partout. Mais ce n’est pas bien aligné comme une cathédrale gothique ; une croix (nef, transept, cœur), c'est plutôt comme si un architecte n'avait pas suivi de plan, c'est imprévisible, y a pas de grande salle, ça tourne à droite à gauche. Les  couloirs voûtés conduisent à la lumière, vers une sortie ? Mais on ne sait pas comment s'y rendre. Il y a des tourelles et des passerelles en bois qui semblent nous y mener, des chaînes barrent le passage, ce n’est pas possible. Tout est démesuré, les puits de lumière sont violents, les zones d'ombres angoissantes, noires, inaccessibles. On se demande bien comment Nico peut ranger là ce qu’il possède ! De grosses grilles bloquent les portes et les fenêtres.., il y a de l'écho. Il doit y stocker des connaissances rares, des souvenirs d'enfance, des citations entières de livres oubliés.
Des galeries, des couloirs, des arcs, des ponts de bois : on va essayer de peindre ça.., de l'intérieur.
Y avait peut-être plus simple dans la tête d'un autre. Tant pis. Faut pas chercher pendant cent sept ans. Ne pas trop hésiter, y aller.
Il y a de l'ombre et de la lumière, ça s’est bien. Et, si cela aide Nico à y voir plus clair, tant mieux pour lui . . . et nous on aura fait une belle virée au centre de la tête.

Ici on n'est pas confiné, on est ailleurs, on peut se déployer, étendre les ailes.
Sept mercenaires.
Nous n'avons jamais guerroyé de concert, quelques uns n'ont jamais peint sans main courante, d'autres se dépatouillent très bien. Notre point commun est d'avoir été l’élève du maître.
On veut se jeter sur la toile mais la tête de Nico résiste. On comprend qu’elle ne peut pas se peindre ; qu'il va falloir la construire. C'est pas un travail de peintres, heureusement on s'en est rendu compte assez vite, c'est plutôt un travail de maçon.
"Nos pères étaient maçons." pensa Ange. . , ailleurs.
On balance les pinceaux, on dégotte des truelles. On commence par échafauder un grand mur ; dix mètres de long sur trois mètres cinquante de haut. Les rangées s'alignent horizontalement, le mur se monte, sans coups de sabre*. De la pâte épaisse déposée à la taloche sur toute la ligne, on choisit les moellons et on les dispose comme des Legos, faut qu'ils se croisent avec ceux de la rangée précédente.
Dare dare, on arrive au-dessus ; notre mur est aveugle, il cache tout ce qu'il peut y avoir derrière. C’est à dire rien, même pas le néant. Il est plaqué contre le support vierge. Un mur épais, un appareillage cyclopéen barre la toile. Une muraille.
Ensuite, et vite, ne pas attendre la prise du ciment ; triturer la pâte, desceller les parpaings, recouvrer ce qu'il y a derrière cet obstacle, fouiller dans la tête, ouvrir ce mur aveugle comme celui d'un squat.
"Y doit bien y avoir quelque chose derrière cette muraille, c’est pas possible que l’on ait bossé pour rien !"
Notre espoir : découvrir la nef d’une grande cathédrale romane désaffectée construite sans queue ni tête, qui défie les lois de la pesanteur, un imbroglio de pierre de circonvolutions, de calottes, et de voûtains ? Personne n’y croit.
-"Considérez ce mur comme étant un cadavre et votre truelle de maçon comme un scalpel destiné à faire disparaître l’opacité de l’obstacle, et donc à désigner la lumière de ce qu'il cache." bafouille Gil&.à l’esbroufe.
-« Waouh ! » s'alarment les élèves que le plausible défi déroute.

C’est tout de même dingue de savoir que derrière notre mur maçonné il peut y avoir le foutoir labyrinthique du crâne compliqué de Nico. Au début, on rigolait bien, on disait ça pour déconner, on n’allait tout de même pas gober qu’il était possible d’atteindre  son cortex  par la maçonnerie. . . Lui, ça le faisait bien rigoler aussi, ça lui tenait chaud. Il est toujours persuadé que tout est limpide quand il parle, à nous soûler.., on doit se débrouiller avec son vrac qu’il nous livre par gerbes. On en laisse des brassées, on ne peut pas tout engranger…
Eh ben, c’est pas le foutoir de Nico qu’on a rencontré derrière le mur. On aurait pu tout aussi bien ne rien rencontrer du tout, d’habitude ya rien derrière une couche de peinture  même maçonnée à la truelle. Si on croit mordicus que c’est un mur, c’est parce qu’on est bon public, qu’on décolle assez facilement en poète du quotidien. Retrouver à volonté l’enfance qu’est pas bien loin qui chatouille. Ya pas plus de mystère derrière ce mur que de beurre en branche, c’est sûr. Mais on est là pour passer une bonne journée et prendre une déculottée en peinture, qu’on aime bien s’prendre, on s’prend pas pour Albator !

-----( ? )-----

En sondeur de catastrophe inexpérimenté un des maçons en culottes courtes s’est mis à tambouriner pianissimo sur un moellon qui sonna plus creux que les autres. Quelle musette le piquait ! Adagio, en connaisseur il plaqua l’oreille sur la peau pour entendre les résonances telluriques au plus profond.., assez distinctement, et, decrescendo ça cessait.., ça reprenait plus allegretto au cœur comme si  quelqu’un jouait des petits coups rigolos sur le clavier d’une tuyauterie de cave souterraine ; « Tititing ! titing ! ting ! g ! » Puis ça continuait en plus rigolard : « Guiling ! guilig ! guili ! guiliguili *! » Et encore…
*CD possible.

 Descellez un moellon ! Avec la truelle en pied de biche. Bing ! De la crème fraîche dans la figure, tout le monde se marre. La pierre bouge, elle est extraite comme la bonde d’un tonneau; la lumière fuse, éblouissante, elle inonde l’atelier, en marquant à 45 degrés des zones franches de lumière aveuglante. Personne n’a l’idée de se mettre à genoux, de prier, encore heureux ! Quelqu’un d’aussi con ne serait pas intronisé dans l’équipe ! C’est plutôt les lunettes de fin du monde qui s'imposent… A l’unanimité on souhaite accélérer, le jeu en vaut-il les chandelles dont nous allons avoir besoin ?
Ce qui est derrière n’est pas le ciboulot de Nico, c’est plus compliqué, presque un truc d’extra terrestre, c’est dire...
Est-ce nous qui révélons cette gracieuse auréole ?  Nous avons la sensation d'être dans une sale affaire.
-« Dégagez un autre parpaing pour y voir plus clair. »
Avec Hitchcock, le héros sait qu’il y a quelque chose dans la cave suintante et obscure, et il y va tout de même, nous, on attend peinard, qu’il le fasse à notre place de cinéma. Ici pareil, on court sans doute au casse pipe ; on enlève d’autres pierres et on se fait agresser par la lumière, et on trébuche dans un univers  de pierres et de poutres, genre Piranèse*

*Piranèse et sa célèbre série des « Carcéri » (prisons, en italien), celui que Focillon appelle « Un prophète du passé, un magicien de la lumière, un admirable artisan de la gravure.., »  n’a pas inventé cet univers carcéral, il était déjà inscrit dans la tradition du décor de théâtre au XVIIIème siècle.

C’est un décor de théâtre qui a surgi devant nous, à la fois obsédant et grotesque, dramatique mais impossible, presque risible, trop carcéral.
Çà appartient à qui ce forum oublié ?
-« On peut pas pénétrer dedans ! »
Evidemment, on n’est pas dans un conte.., faut pas exagérer, c’est en deux D, pas en trois D.
Même quand tout sera sec et solide on n’y pourra rien, on n’est pas des passe murailles… c’est déjà époustouflant d’avoir ce panorama sous les yeux sans avoir eu à le brosser.., on monte un mur contre une grande toile, on le casse aussitôt, et hop on découvre derrière sur la toile une architecture qu’on a souhaitée mais qu’on n’a pas peinte. Fortiche ! Cela aurait été autrement plus problématique de peindre ce gigantesque hangar à fresco avec ses perspectives tous azimuts. Certaines lignes de fuites sont absurdes et fausses, mais tout de même. Y aurait eu besoin de  grands compas pour tracer des trucs pareils, des gabarits, des bissectrices… L’espace dévoilé, (démuraillé) mesure plus de cent mètres de large. La hauteur des voûtes culmine quelquefois à cinquante mètres. Pas de ciel à l’horizon, pas d’horizon, pas de soleil, juste des puits de lumières.
Le puits dans lequel Ange a jeté la clé de sa cellule ?

C’est qui qu’on entend tintinnabuler quand on plaque l’oreille sur la peinture fraîche?  (Attention !) (C’est fait, on pouffe de rire.)
A trop penser à notre Maître artiste à tous ; Ange Confusiani, Prométhée alias Ribouldingue, St Matthieu, on finit par le kaléidoscoper partout… Il est là bas aux cinq cents diables, dans le dédale de pierre, emberlificoté  dans les gravats de sa cellule moribonde. Trop loin pour l’apercevoir, les couloirs en volées d’escaliers mènent loin, bas et profond.
-«  Ange y es-tu ? »  Ter.
 L’espoir de ne pas peindre seuls, de rendre à Ange ce qui appartient à ange ; c’est lui qui a inventé le concept de peindre réuni !

Les peintres au cours des siècles, se sont toujours regroupés en respectant la sévère hiérarchie compagnonnique, mais depuis la fin du dix-neuvième siècle les individualités écorchées ont pris le dessus sur les associations et les écoles, néanmoins la plupart des peintres pleurent seuls avec leurs pinceaux sur leur  morceau de toile. Nous peignons fouriériste. Pour nous avoir incités à peindre à quatorze mains, veuillez agréer, Maître Ange, notre plus haute considération.

Notre  utopique conciliabule d’histoire de la peinture associative a duré, suffisamment pour qu’un homme comme Ange puisse, franchir les moellons de sa geôle, marcher plein sud, se repérer dans le dédale de couloirs où la lumière est aussi fatigante que lorsque Mitterrand erre seul dans le Panthéon, (sans caméra pour le filmer sur toutes les chaînes sous tous les angles).
Ange apparaît en aristocrate, comme un pacha du haut de sa passerelle, fait un petit signe de vie de la main ; « Hello ! » « Echo ! » « éco » « éo »
Il avance tranquillement vers nous, d’un pas lent, calme mais folâtre… « Ne m’appelez pas maître, seulement centimètre*. » dit-il posément en enjambant la zone de fumigènes…
*emprunté à un musicien.
Stop ! Coupe…

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Arrête, merde ! Non mais c’est pas vrai !
On va pas refaire le coup de la peinture fenêtre ouverte sur l’extérieur !
Un, Djief qui laisse la clé sous le paillasson, s’enfonce dans la peinture à travers le crevé de la manche de la dame à l’hermine et se met au vert.
Deux, dans le sens inverse Ange s’extrait de la glu… et retrouve la clé des champs dans un  puits de lumières!
Virez tout ce passage. Trouvez un scénario plus « nonsense ».

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Ok ! Arrêtez la lecture à la page 110, après ; « on s’prend pas pour Albator. » Et reprenez ci-dessous, c’est plus dingo.

*

« Le microscope électronique a confirmé ! Derniièères nouvelles ! »  A la une d’un canard.
L’épaisse mixture pourpre, émeraude et outremer retrouvée derrière le mur qui dessine l’étourdissant panorama d’une architecture absurde éclairée au canon a été peinte au pinceau !
Quelqu’un a vraiment peint ce dédale de voûtes de pierres après que le septuor ne mure la toile, et avant qu’il ne la descelle !
-« Arrête de nous prendre pour des cons! »
…Appelés à la barre les uns après les autres.., leurs témoignages concordent ; la toile était vierge. Les membres du septuor reconnaissent ne pas avoir fonctionné comme des peintres orthodoxes en murant la toile ; quand on murmure, c’est que l’on n’a pas la conscience tranquille, eux pourtant l’avaient.

Quand on peint avec passion, (avec ses tripes !) de tout son cœur, un pigment pourpre appelé " blouep* " peut passer dans le sang en cas de plaisir intense ; on en a retrouvé en abondance dans la toile du dessous. Toutefois, si on peut difficilement comprendre le passage du pigment épais des viscères au sang il est encore plus dingo d’imaginer le passage du sang vers la toile via le pinceau.
Quelqu’un a utilisé une quantité importante de pigments pour peindre !
Il a été difficile de faire admettre à la petite troupe de maçons qu’Ange seul n’a pu suinter autant de pigment. Et ne pas croire qu’il suffit de se vautrer* sur la toile pour laisser la trace de cette couleur pourpre.., c’est, à coup sûr, bien plus biscornu que cela ! Cependant, il fut confirmé l’année suivante que les pigments provenaient bien de la même personne en bonne santé. D’autres teintes que le pourpre ont été repérées en grande quantité ; des  petits dépôts de minéraux provenant d’autres parties du corps qui produisent aussi de très belles couleurs ! La bile donne la laque de garance cramoisie, par exemple.

*Le Suaire de Turin a été fabriqué entre 1260 et1390, ce n’est donc pas le Christ qui a pu y laisser ses traces de souffrance ; néanmoins, il y a bien quelqu’un qui a été crucifié dans les règles de l’art, cloué par les poignets, lacéré et enveloppé dans un grand linge…
* Les Anthropométries d’Yves Klein sont plus réjouissantes que le suaire ; quelques belles filles se sont faites enduire de peinture qu’elles ont déposée avec grâce sur une toile vierge fixée au mur.







Le poids total, des pigments et du liant utilisés pour colorier cette grande toile à été calculé avec précision ; un prélèvement d’un centimètre carré qui n’a fait de mal à personne, soit 0,19gr, a été minutieusement gratté. Ce qui fait 2,4 kilos de matière ; pigment et liant compris, sachant que le liant gras a séché et que la quantité de pigment minéralogique n’a pas pu varier…
L'histoire est suffisamment complexe, il n'est peut-être pas nécessaire de se référer aux scientifiques. D'ailleurs, ils n'expliquent rien, ils ne supputent pas juste, juste ils supputent... Alors ?
Rappel du premier scénario abandonné : Ange n'est donc pas sorti de la cuisse d'un gigantesque tableau de Piranèse (en couleurs !) Il n’est pas apparu en bas d’un escalier  de pierres éclairé par le puits de lumière de sa clé recouvrée. Ce n'était pas un bon plan de sortie de tableau.
Néanmoins, le rideau de scène est bien la reproduction polychrome et monumentale d'une gravure noir&blanc de ce visionnaire dantesque qu’est Piranèse. N'y attendez plus l'apparition du peintre reclus : Ange est toujours dans sa cellule "in Carcere"... c’est-à-dire dans la prison qu'il a apprise par coeur depuis tant d'années et dans laquelle il peint, et, pour laquelle Gil&. se déplace depuis tant d'années. Incontestablement, le professeur ne tient par le rôle le plus difficile de la pièce !
Habitude: intra-muros, peu de détenus s'intéressent à notre Prométhée de la peinture, il est devenu transparent pour la plupart des surveillants, et sonnant et trébuchant pour les quelques professeurs qui l’ont approché.
Doute: retour des vacances d'été 2002 ; plus d'Ange au  long cours de peinture !
Transfert ?
Personne ne veut ou n’ose répondre à la question, on détourne la conversation.
Libération ?
Impossible... (?) 16 ans ! Seulement six calendriers épluchés en oignons !
L'atelier : le travail reprend avec d'autres néophytes qui rêvent d'atteindre le niveau d’Ange, la référence en peinture: une grande toile en point de mire sous les yeux pour mesurer le chemin à parcourir ; marche et rêve.
Sur la grande toile modèle, des arcs doubleaux, des colonnades, des claveaux de pierres, des voûtes en berceau, une tour circulaire monumentale, l'ensemble est brossé largement avec conviction et énergie.
Scénographie exagérée : la fenêtre de la tour barricadée par une lourde grille en fer forgé démesurée semble illuminée par l'acier en fusion d’un petit haut fourneau intérieur.
Un clair-obscur plus fort qu'un George de la Tour !
Interrogation: Ange a-t-il peint cette toile présentée dans l’atelier ? C'est possible ?
Un tel sujet Peint par un embastillé ? Seul, l’été dans sa cellule ? Absurde…
A-t-il puisé son inspiration dans le ciboulot de Nico comme l'équipe de jeunes peintres extra-muros ?  Il connaît Nico par Gil&. le prof.
Transmission de pensée ?
Étrange coïncidence !
Hypothèse : 1- Intra-muros Ange aurait peint une scène complexe de couloirs et de voûtes sans fin...
                    2- Extra-muros, le septuor ne réussit qu'à construire un mur aveugle de chantier derrière lequel au démontage il découvre, à la virgule près, un complexe architectural ; (qu’Ange aurait pu peindre seul en cellule de juillet à août).
Donc : Deux toiles identiques qui ne seraient « qu’une » à deux endroits différents..,  ( ?)  Impossible !
Mention: Ange Confusiani ne se s’est pas volatilisé, Ange n'est qu'un prénom corse qui ne prédestine pas nécessairement à l'envol. (Les Blandine ne finissent pas dans la gueule des lions.)
Déduction: Ange a eu chaud durant cet été. Il a peint, beaucoup peint, trop peint...
Il en est peut-être mort, mais où et comment ?
La mort est une évidente déduction, mais la mort laisse des traces, or, il n'y en a pas ; juste son pinceau chinois volé et cette toile ultime, la dernière, la plus belle, la plus monumentale, la plus joyeuse par ses couleurs qui du coup, annihilent complètement l'absurde sujet cauchemardesque du labyrinthe sans issue.

Essayons tout de même de prêter foi à cette histoire de pigments* retrouvés sur la toile : 2,4 kilos de matière en poudre (liée sur la toile !) qui proviendrait du corps d'une seule personne.

*Le bitume de Judée fut la première couche sensible utilisée par Nicéphore Niepce en 1827.., mais ça n’a pas de rapport.., alors pourquoi l’écrire ?

Un corps est constitué de beaucoup d’eau. On ne meurt pas en réduisant de quelques kilos d’eau, mais, en est-il de même si l’on perd plus de deux kilos de matière minérale solide ?
Prenez Ange, il pèse... Il pesait ! Il n'est plus là... Environ 70 kilos. L'essorer: il a beaucoup diminué.
Notre déduction est absurde et fantastique, mais bon sang! Il faut bien trouver une explication logique !
Si l’on admet ce qu'ont écrit les scientifiques, l'histoire n'est pas macabre ; « en cas de plaisir intense le « blouep* » peut passer dans le sang puis sourdre par les pores dilatés lorsque l'on a « la chair de poule ». Grande émotion, grande joie.
Faites-en l’expérience avec une raclette en bois (bâton d’esquimau). Rendez-vous à l'opéra, c’est trois heures d’émotion assurée : vous récolterez, sur votre avant bras.., sur votre ventre  (à la raclette) une noisette de pigment, de quoi peindre en garance un pantalon de zouaves ou autre chose de votre choix.
Le pancréas fabrique du carmin,
la lecture passionnée de Prévert donne du jaune mordoré, le vert est obtenu par le mélange du Prévert et du bleu syncope.
Le rouge vif par fierté.
Le noir par inavouables pensées.
Et le blanc qu'il faut empâter… (Il est donc indispensable d'en posséder une grande quantité. Touchez un empâtement de Rembrandt !)... Des minuscules perles laiteuses coulent des yeux de l'artiste s’il l’est, si son dessein est limpide et son trait transparent. Le blanc perle quand l’artiste commence à vaticiner, à euphoriser  en rond autour de son oeuvre, il égrène des larmes de contentement.  Palsambleu, il lui en aura fallu du plaisir pour en avoir de toutes les couleurs, pour en racler autant ; 2,4 kilos de pâte multicolore ! Les restes d’Ange se seront sans doute évaporés en poids plumes.

*Blouep ; phonétiquement comme "Blow-up": ne pas confondre avec le film d'Antonioni.




Ange brava Zeus*, d'abord en créant, puis en écrabouillant le premier homme qu'il peignit avec des pigments et du liant. Ensuite il a essayé de réanimer le feu du ciel au canon pour illuminer les ténèbres de la terre et de l'humanité.
*page 3 ; Prométhée brava Zeus..,




Un Ange passe ……………………………………………..
…………………………………………..………, en Corse.

*

***

Axiome : plus on est seul, plus on est Corse. Attention, s'il convient d’inverser la proposition, seul un Corse peut le dire!

Premier séjour : colonie de campeurs (près de quinze), camaraderie sonore d'estivants enthousiastes, découvreurs et déjà conquis. Tout l’arôme présumé du pays en pleine bonne poire continentale. Mais pas un Corse à l'horizon. Au retour, j'en découvre un, collègue dans mon premier collège : déraciné, déplumé, presque aseptisé, ne vivant que pour l'avion hebdomadaire (!) du retour dans son pays confisqué. Malgré tout, qu'est-ce qui lui permet de rester digne ?

Deuxième étape, trois ans plus tard. Cercle d'amis plus restreint (dix), écrémé. Avec le temps, du cercle des miens, j'exclus ou s'excluent volontiers les renfrognés ; les faux, les mous, les creux ; les friqués-blasés. Je n’aime que les fervents. On habite sauvage "chez Le Berger" - comme si le pays n'en comptait qu'un - premier Corse côtoyé à dose réciproquement homéopathique.
Traversées de maquis, découvertes de plages espérèment désertes, colonisées de nos seuls culs-rougis-punis. Je joue les premiers de cordée. Comprends que ce pays existe mieux sans foule, sans bruit.

Troisième approche, trois ans plus tard (tiens, j'avais pas remarqué...) Plus que quatre. Plutôt montagne et automne. Place aux Corses, le touriste ayant déserté l'horizon.
Découverte du vent, des orages et de l'austérité : épreuve à surmonter pour se sentir accepté par le pays. Ma fille y a deux ans. Elle est précoce à reconnaître les couleurs : influence du lieu sans doute. Sa petite enfance est partout sacrée, elle a tous les droits. Encore aujourd'hui, pour elle, la Corse est le pays de l'hospitalité.
Bilan : la Corse m’est familière et étrangère (Seul un con se sent partout chez lui, j'ai donc progressé).

Quatrième essai (trois ans plus tard, ça alors!). Sept. Nombre croissant : erreur, donc, et régression. La Corse résiste, le Corse se cache. Essai non transformé. Avorté.

Dernière croisade. Treize ans déjà, longue gestation, celle-là... Trois : père, mère et fille. Mais je pars souvent seul, marcher. La Corse m’est entrée dedans par les pieds, c’est par les pieds que je l'ai comprise et sentie, cette fois ; là où ils pouvaient me porter, trop couard pour affronter l'abrupt, mais jamais lassé. Je me souviens d’y avoir songé tout éveillé une nouvelle vie. Prémonitoire !
Je n'ai toujours pas parlé avec un Corse, mais j'ai dialogué avec son pays, selon mes pas, mes chimères de marcheur.

L'année suivante, c'est la Corse qui vient à moi. Qui me répond par le truchement de trois ambassadeurs naufragés. Emprisonnés mais plénipotentiaires.
Pour moi, chacun d’eux est plus que le Dalaï-Lama. D'ailleurs le Tibet je m'en fous, sauf le respect et la compassion que je lui dois.
Voilà les premiers Corses à qui je puisse parler vraiment, avec qui débattre, dont le sort me soit lié et l'histoire familière, professeur équivoque qui apprend tout autant qu'il enseigne.
Cinq ans après, il n'en reste qu’un.
La Corse, j'y retournerai quand Ange y sera. Libre.
Parole d’Évangile.













Luc Maffoni.
Jean Chiodi.
Matthieu Andréani.
Marc Villemin.
Et quelques autres.
…Et Nad@ pour les pieds de nez.
 Un dernier pour le plaisir ?





*

…Nad@ aima qu’ils vénèrent ses pieds peints jusqu’à les lui laver : le trio avait acquis en quelques années de telles connaissances en peinture qu’il pouvait se permettre de juger les progrès en pointure de la belle hermine.
Toutes les semaines les nouveaux pieds de Nad@ se blottissaient régulièrement dans le carton à dessin du prof zélé, l’Hermès du vendredi, le trait d’union entre les garçons admiratifs et la peintresse chagrinée de peindre ses jours sans un homme à ses pieds. Elle trouva en eux une chaussure. Elle s’est tenue à un seul, le plus mesuré, les  deux autres se tinrent admirativement à l’écart…
Oh, ça ne s’est pas enflammé longtemps, juste une étincelle d’année.
Pour lui elle s’est couchée nue sur une feuille de papier légère de sa largeur et de la double longueur de sa taille. Le corps nu enduit d’huiles délicates et parfumées, elle se couche et se recouvre. L’opaque devient transparent aux  enivrantes pressions (des parties) du corps. Empreintes transparentes obtenues le dos allongé et la face en relevant le papier par dessus la tête comme une charnière. Une grande feuille, pour dire sa présence et sa réalité à son amoureux, qui sera repliée pour réduire et tenir dans le carton à dessin d’hermès. Le corps de Nad@ sous le bras à travers le détecteur.










Dépliée en cellule, il s’y est allongé…



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Encart destiné aux balbutiants qui déraillent souvent en lisant les lignes à découper suivant les pointillés.


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Trois braqueurs Corses et un centimaître d'arts plastiques se rencontrent à la maison d'arrêt d'Épinal par chance et par hasard : ils se sont mis à peindre et à écrire encore et en chœur, si bien qu’il s'est écoulé six ans.
On peut jurer que nos premiers aveux de peintures et d’écritures sont.., sur la tête de nos pères, authentiques : Bacchus, Méduse… Jusqu’à celui de l’ange au pied nu qui nous a fait l’effet d’un électrochoc, puis tout fout le camp, c’est du flan, nous avons trop peint de plis et des murailles de prison trop hautes pour nous.
La Dame à l’hermine existe vraiment, le repli sur son épaule est riquiqui, en revanche, il existe une Nat et une Nédia, qui donne une Nad@  plus forte que les deux séparées.
Marlo dessine des compagnes au charbon. Ange a progressé en peinture de manière asymptotique. Djief s’est effectivement tu.
Quelques autres ont peint et écrit avec nous, mais pas de manière aussi engagée.
Aujourd’hui. Marlo (transféré à Marseille) rejoindra la Corse l'an prochain, Djief (transféré dans la région parisienne) sortira l’année suivante, Ange est toujours à Epinal. Sa sortie est pour bien plus tard. Et Gil&  n’enseignera plus la peinture à la maison d'arrêt quand elle sera vide, il a eu son conpte.





On cite pas mal d’endroits dans ce roman, on en fait  la liste :

Les Etats-Unis, l’Eden, l’Atlantique, Fresnes, Marseille, Le Prado, Hong-Kong, Munich, Rome, Moscou, Venise, Berlin, Dublin, Londres, un atelier à l’écart, La Corse, Corte, Alexandrie, Bâle, Stockholm, Tibet, l’Assemblée Nationale, Turin, Olympe, Wanchai, la prison d’Epinal.

On récapitule les noms des personnalités dont on a parlé :

Sébastian Brandt, Hermès, Bacchus, Le Berger, Rembrandt, Le Baron de Munchaüsen, Focillon, Prométhée, Albator, Big Jim, un cyclope, Napoléon, Courbet, Han Yu, Little Nemo, Manet, Danton, Jackson Pollock, Egon Schiele, Olga, Narcisse, Goldmund, Sainte Céline, Marie-Madeleine, Zénon, Montherlant, Mishima, Carmen, Zorro, Louis XV, Les Pieds Nickelés, Pellos, Filochard, Ribouldingue, Titien, Croquignol, St Marc, St Luc, Raymond Queneau, St Matthieu, Francis Bacon, St Jean, Jupiter, Champollion, la Méduse, Monet, Renoir, de Vinci, Rorschach, Archimède, Richter, Schwarzenegger, Mahomet, Le Christ, Zeus, Le Dalï Lama, Kurosawa, Jules Verne, Nietzsche, Dieu, Prud’hon, Monet, Méphistophélès, Bruce Lee, Fourrier, Mitterrand, Marguerite Yourcenar, Victor Hugo, Hermann Hesse, Goethe, Dostoïevski, Jean-Paul Kaufman, Pascal Quignard, Marguerite Duras, Balzac, Beethoven, Blaise Pascal, Confucius, Nicéphore Niepce, Hitchcock, Antonioni, Yves Klein, Salvador Dali, Ingres, Théodore Chassériau, Gérard Garouste, Eugène Delacroix, Honoré Daumier Édouard, Willam Turner, Hans Bellmer, Giovanni Battista Piranèse, Georges de la Tour, Luis Būnel, Velickovic, Sam Francis, Rothko, Jean Dubuffet, Auguste Renoir, Zeuxis, Rembrandt, Holbein, Velázquez, Caravage, Grünewald, Andrea Mantegna,  Michel-Ange, Archimède, Léonard de Vinci,  Beyeler, Winsor Mc Cay, Georges Brassens, Jacques Prévert,  Georges  Perec, Hans Hartung, les Futuristes Italiens, Maurice Denis, Marcel Duchamp, Willem De Kooning, Pierre Alechinsky, Jérôme Bosch, Breughel, Oscar Dominguez, Wolgang Paalan, Canabel, Max Ernst.


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